Dossier de presse publié par la mairie de Timburbrou en 2073.

Ce dossier a été constitué par John Poquito, le journaliste qui a disparu après avoir enquêté sur l’affaire dite de la cogni-classe.
Ce dossier comprend des articles parus entre 2010 et 2065, ainsi que des notes personnelles du journaliste. Dix ans, après la disparition d’un concitoyen apprécié de tous dans notre petite ville, nous croyons cette publication indispensable. Elle montre des qualités humaines et professionnelles hors du commun et un engagement non-négociable et opiniâtre à faire connaître la vérité. John Poquito incarne comme nul autre cette tradition des localiers dans laquelle s’est réfugié le véritable journalisme.
De nouvelles pièces sont mises à jour régulièrement dans les différents supports qu’utilisait John Poquito. Nous les ajoutons au fur et à mesure que nous les découvrons.
Une cogni-classe à Q.
À l’initiative d’une enseignante de français, une cogni-classe s’est mise en place au lycée Q de Timburbrou. Des chercheurs de http://sciences-cognitives.fr vont suivre le projet.
Nous voulons appliquer les acquis des sciences cognitives dans nos classes. Associées au numérique, les sciences cognitives proposent des solutions à une partie des difficultés que nous rencontrons dans nos classes, nous déclare l’enseignante. Le Proviseur de l’établissement, quant à lui, se félicite de cette initiative et y voit l’illustration du dynamisme de ses enseignants. On nous dit, par ailleurs, que l’expérience est suivie avec attention dans les hautes sphères du ministère : comme chacun le sait, le nouveau ministre est féru de sciences cognitives et s’est exprimé à plusieurs reprises sur la question en indiquant à quel point il voyait dans leur apport des voies porteuses d’avenir pour notre école.
Nous rendrons compte régulièrement du déroulement de cette expérience.
Marie D, Le courrier de Timburbrou, le 27 octobre 2019.
Des chercheurs au lycée Q pour suivre la progression de la cogni-classe.
Nous nous sommes rendus au lycée Q pour suivre la première rencontre entre les chercheurs et les élèves.
Les chercheurs ont été magnifiquement accueillis par les enseignants porteurs du projet, qui sont au nombre de deux. Leur enthousiasme semble pouvoir largement compenser la réticence initiale de leurs collègues. Chez les profs, nous dit-on, on n’aime pas se faire expliquer son métier par des experts.
Les élèves, nous ont-ils déclaré, se sont montrés intéressés par l’initiative. Leur exaltation s’est traduite par, dirions-nous, une forme d’impatience qui a pu être mal comprise par des chercheurs habitués davantage au silence de leurs laboratoires qu’aux cris ou aux bruits divers par lesquels les jeunes d’aujourd’hui manifestent leur intérêt pour quelque chose.
Entretien avec Michel Mondingus Sperber.
Michel Mondingus Sperber1 travaille dans la Fondation Sciences Cognitives, dont voici le site : http://sciences-cognitives.fr/
Comment votre relation avec le lycée Q a-t-elle commencé ?
Nous avons reçu une proposition étrange. Des élèves nous proposaient de venir travailler sur eux, sur leur façon d’apprendre. Ils nous proposaient de les étudier, de leur proposer des démarches pour mieux apprendre et d’écrire un article scientifique avec nous pour rendre compte du résultat de nos travaux conjoints…
Eh bien, c’est formidable, non ? Cela a dû vous sembler formidable…
Euh, oui, oui. Enfin, ce n’est pas tout. Ils nous expliquaient qu’ils voulaient tourner un film. Ils voulaient qu’on joue notre rôle dans le film.
C’est inhabituel…
Très. Très inhabituel, en effet. On en a beaucoup discuté, puis, on a refusé. Du coup, ils nous ont renvoyé le projet, qui était fort intéressant, au demeurant, mais en l’amputant du film.
Pourquoi ce refus ?
On s’est méfié. On était étonnés. On n’a pas cru qu’un tel projet ait pu surgir d’une classe de lycéens. Encore moins d’une classe STMG. Vous savez, sans vouloir stigmatiser, ce ne sont pas les classes dont on s’attend à voir surgir spontanément ce genre de projets. Peut-être qu’on avait des préjugés, je ne sais pas…
Et alors, qu’avez-vous fait ? Avez-vous accepté de participer au projet ?
Oui. Mais (rires), ils nous ont piégés. Ils ont fait leur film quand-même, en faisant jouer nos rôles par des doctorants de l’université de Lille. À chaque fois qu’on intervenait, un élève nous observait et prenait des notes sans cesse.
Et l’article ?
On a accepté, bien que de mauvaise grâce, il faut le reconnaître.
Vous étiez méfiants…
Nous avons dans notre équipe des militaires, des gens des services secrets. Ces gens-là ont la méfiance chevillée au corps. On a décidé d’y aller, mais en même temps, on a mis en place une surveillance poussée, à la fois des élèves et de leurs enseignants. C’était une drôle de situation. Chacun avait ses objectifs propres. On collaborait et on se surveillait. Eux s’informaient sur nous pour tourner leur film, c’est ce qu’ils disaient, en tout cas. Et nous, on les surveillait parce qu’on craignait une manipulation ou une déstabilisation.
Des années se sont écoulées. Que s’est-il vraiment passé à Q ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr qu’on le saura un jour. Je dois vous quitter maintenant, j’ai une réunion. Je vous rappelle notre arrangement : cet entretien n’a pas eu lieu. Et permettez-moi de vous rappeler mon conseil : laissez tomber votre enquête.
Lettre des deux enseignants à http://sciences-cognitives.fr/.
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes enseignants au lycée Q de Timburbrou, , Saint-Denis, et nous sommes désireux d’intégrer les acquis des sciences cognitives dans notre enseignement.
Nous craignons cependant que les pistes que vous proposez, intéressantes en elles-mêmes, ne soient inaudibles à nos élèves si elles leur sont délivrées sous la formes d’injonctions.
Pour faire émerger un espace de travail dans lequel vos propositions puissent être reçues, nous vous proposons trois démarches :
– Mettre en place une étude à laquelle les élèves dont les élèves seraient co-auteurs. Il s’agit de dégager un savoir sur soi qui ait aussi une valeur générale. Produire des informations sur comment j’apprends m’est utile, mais est aussi utile à la science.
– Créer un site rédigé par des élèves dans lequel ceux-ci rendent compte des découvertes dans les sciences de l’apprentissage. Vous aurez un rôle de supervision et de conseil. Les élèves se rendraient dans différents laboratoires pour rencontrer des chercheurs ou informeraient des publications sur la question.
– De tourner un film dans lequel vous joueriez votre rôle. Le synopsis de ce film est à votre disposition ici.

1Nous avons interrogé http://sciences-cognitives.fr/ . Ils affirment ne pas connaître Michel Mondingus Sperber. Aucun collaborateur ne porte ce nom aujourd’hui et aucun ne l’a porté depuis la création de la Fondation. Dans une annotation manuscrite, John Poquito se demande si Michel Mondingus Sperber n’est pas un pseudonyme.