Lettre au président Macron par la voie hiérarchique au sujet du lobby de l’alcool.

À l’attention de monsieur le Président de la République,

s/c du chef d’établissement

 
Monsieur le Président de la République,
Enseignant dans le secondaire, je travaille sur le pouvoir des lobbies. Il s’agit d’étudier la façon dont ils agissent dans différents pays européens, ainsi qu’auprès des institutions européennes.

Le journal Le Monde publia il y a un an une tribune qui a pour titre “La démission gouvernementale face à l’alcool est scandaleuse”. Les auteurs de cette tribune sont des professeurs de médecine éminents. Ils s’adressaient à vous en ces termes :

Dans cet esprit, nous en appelons solennellement au président de la République afin qu’il cesse de sacrifier les intérêts supérieurs de la santé des Français au profit d’intérêts particuliers.

Les auteurs de la tribune soupçonnaient le gouvernement d’être sous l’influence des lobbies de l’alcool. Ils remarquaient aussi les propos pour le moins étranges du ministre de l’agriculture au sujet du vin, qui ne serait pas un alcool comme les autres. Vous-même, monsieur le Président, en avez tenu de semblables, qui déclariez  :

« Je peux vous dire très clairement, il n’y aura pas de durcissement de la loi Evin. On n’a pas besoin de ça. S’il y a des jeunes qui se saoulent, ils ne se saoulent pas au vin français, mais à la bière où à l’alcool fort. Il faut être clair, je ne veux pas qu’on touche la loi de quelque façon que ce soit sur le vin. […] Ce n’est pas une priorité »,

nous informe Ouest-France.
L’article indique aussi que vous avez fait un clin d’œil à l’un de vos prédécesseurs, Georges Pompidou :

« Il faut qu’on arrête d’emmerder les Français avec ces choses-là ! »

Il est des soupçons absurdes, dont la faiblesse suffit d’elle-même à les écarter. À l’évidence, ce n’est pas le cas ici, dès lors que les ravages immenses de l’alcool sont amplement connus et que des mesures efficaces et simples à mettre en œuvre ne le sont pas. Se demander pourquoi cela est ainsi et émettre l’hypothèse que le lobby du vin puisse influencer l’exécutif n’est pas une démarche irrationnelle.

Pourriez-vous m’indiquer, monsieur le Président, si l’énoncé selon lequel le vin français n’intervient pas dans les ivresses des jeunes français repose sur des données scientifiques ?

Dans l’hypothèse où ce serait le cas, pourriez-vous m’indiquer si, à votre estime, un tel fait justifie l’inaction gouvernementale dont s’indignent les auteurs de la tribune ? Faut-il que la politique de prévention française de l’alcoolisme épargne le vin français ? Faudrait-il ne protéger qu’une partie des 49 000 Français qui meurent par an à cause de l’alcool ?

Monsieur le Président, je travaille sur les perturbateurs endocriniens, le tabac et l’alcool, trois problématiques où l’action de groupes de lobbying bien organisés et financés est établie, reconnue et documentée. Dans ce cadre, il me semble important que nos élèves apprennent la différence entre le soupçon pathologique et le soupçon rationnel. Celui de ces médecins éminents qui accable l’exécutif est à ranger, je le disais plus haut, dans la deuxième catégorie. Il se distinguerait, par exemple, de celui qui attribuerait votre action ou celle du gouvernement à l’influence des Illuminati ou au fait que vous seriez un Reptilien.

Mais nos élèves doivent aussi apprendre à douter du doute et du soupçon. Les médecins vous accablent, vous et le gouvernement. Nous, enseignants, ne saurions nous contenter de leur analyse. C’est pourquoi, je vous écris1, monsieur le Président : quelle réponse réservez-vous aux soupçons de ces spécialistes ? Pouvez-vous justifier tant vos propos au sujet du vin que la faiblesse de la mobilisation publique contre les dommages qu’il produit ?

Ce serait un honneur pour moi de pouvoir inclure votre réponse dans le dossier que je prépare sur la question.

Je vous prie de croire, monsieur le Président, à l’expression de mes sentiments dévoués et respectueux.


S. Nowenstein,
professeur agrégé.

1Une différence fondamentale entre le complotisme pathologique et le soupçon raisonnable est que le dernier peut faire l’objet d’investigations et d’interrogations. On peut interroger un président de la République, on peut interroger le lobby du vin. On ne peut pas faire de même avec les Illuminati ou les Reptiliens.

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