Le ministre Blanquer s’en prend à l’université, où, estime-t-il, l’islamo-gauchisme fait des ravages.
Les accusations du ministre ont deux faiblesses. D’une part, elles sont dépourvues de preuves. D’autre part, elles impliquent un niveau d’exigence morale dont le ministre lui-même est resté très en deçà dans l’affaire Sandoval.
Lorsque le ministre Blanquer dirigeait l’Institut des Hautes Études d’Amérique Latine (IHEAL), il embaucha Mario Sandoval et renouvela son contrat cinq fois d’affilée.
Résumons.
Mario Sandoval est un ancien policier argentin qui, poursuivi pour crimes contre l’humanité, a été extradé par la France vers l’Argentine. Pendant qu’il enseignait à l’IHEAL, Mario Sandoval a collaboré avec les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), un groupe terroriste responsable de 150.000 morts et qui était l’un des principaux exportateurs de cocaïne vers l’Europe.
Le ministre Blanquer a fait dire à son cabinet qu’il ne savait rien des activités criminelles de Sandoval1.
J’ai enquêté sur ces faits. J’arrive à la conclusion que l’on ne saurait déduire d’eux que l’IHEAL ait été gangrené par l’extrême droite. Madame Zagefka, qui succéda à monsieur Blanquer à la tête de l’IHEAL, mit un terme rapidement aux fonctions de Sandoval. Il me semble certain, cependant, que le ministre a, à tout le moins, agi avec légèreté et que, dans une structure pyramidale, il lui incombait, en tant que directeur, d’assumer la responsabilité de ce qui apparaît comme un dysfonctionnement difficilement compréhensible. L’IHEAL est une petite structure : une dizaine d’enseignants permanents2.
La légitimité morale de l’homme qui garda -et qui ne s’en est jamais expliqué- pendant cinq ans Sandoval dans son petit institut pour clouer collectivement au pilori ses anciens collègues universitaires au moyen d’accusations infamantes paraît faible.
De plus, le ministre accuse sans nommer ses adversaires et sans citer leur travaux. Il accuse sans preuves.
Son propos peut être aussi bien vrai que faux. On ne peut pas le combattre, parce qu’il n’y a rien à combattre, puisque le ministre ne prouve rien de ce qu’il dit. On ne sait même pas ce qu’il entend exactement par islamo-gauchisme.
C’est un propos qui n’est pas justiciable d’une délibération rationnelle. On ne peut que répondre : c’est faux! avec indignation, comme le fit la conférence des présidents d’université (CPU):
« Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une “idéologie” qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme »,
Le désaccord, alors, ne peut qu’être irréductible. Il l’est parce qu’il est impossible à réduire par la délibération rationnelle. Un tel propos crée la division. L’université, incarnée par la confédération des présidents d’université, affronte le ministère de l’éducation, incarné par le ministre de l’éducation nationale, pendant que la ministre de la Recherche se tait. C’est là une autre caractéristique notable du propos du ministre, peut-être la plus importante, celle de créer de la crispation, de cliver, de détruire la cohésion nationale :
En ces temps dramatiques, il est essentiel que l’unité soit de mise et que la cohésion nationale, appelée de ses vœux par le Président de la République, soit pour tous une invitation à éviter amalgames et raccourcis inutiles,
dit encore le communiqué de la CPU.
Enfin, s’il ne saurait être question d’exonérer les élites universitaires par principe de toute faute, il paraît clair qu’en accusant sans preuves ces dernières d’être, au mieux, les idiots utiles des coupeurs de têtes, le ministre fournit à une société française que d’aucuns, non sans succès, cherchent à hystériser (voir Emmanuel Todd, Qui est Charlie ?), des coupables et des responsables.
Ces universitaires sans visage et sans texte seront, avec d’autres qui, luttant contre les discriminations, enseignant, expliquant, agissant, incarnent une République fidèle à ses valeurs, les coupables et les responsables tout désignés de l’échec annoncé d’une politique qui chauffe à blanc la société au lieu de résoudre ses problèmes.
1Voir wikipédia, qui fournit des sources.
2Les sources de ce qui est dit ici sont à trouver dans Articles sur l’affaire Sandoval.