A Lille, le 16 octobre 2013.
Monsieur le Ministre,
Je me permets de revenir vers vous pour vous demander à nouveau des instructions.
Je me réfère au cas de l’élève kosovare Léonarda, dont la presse a rendu compte hier. Les informations dont je dispose proviennent notamment du témoignage de l’enseignante, madame Giacoma, sous la responsabilité de laquelle se trouvait l’élève.
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Dans son témoignage1, madame Giacoma explique qu’un agent de la Police des Airs et des Frontières (PAF) lui a intimé par téléphone l’ordre de faire arrêter immédiatement le bus où, dans le cadre d’une sortie scolaire, se trouvait Léonarda et ce pour attendre l’arrivée des forces de police qui devaient se saisir de la jeune-fille aux fins de procéder à son expulsion.
La première des questions que soulève la procédure choisie par la PAF est de savoir si nous devons obtempérer à une injonction donnée par un individu dont nous sommes dans l’impossibilité de vérifier l’identité. Il me semble qu’une élémentaire prudence devrait vous conduire, à la suite de cet incident, à donner instruction aux enseignants de se soumettre à des injonctions de ce type uniquement si l’identité et le titre ou fonction de celui dont elles émanent peuvent être valablement établis. Ne pas réagir dans ce sens reviendrait à créer un précédent dangereux et une grande insécurité chez les enseignants puisqu’il s’instaurerait la présomption que toute injonction délivrée par téléphone émane d’une autorité habilitée à la produire. Comment saurons-nous en effet que celui qui nous parle est un officier de la République respectueux par définition de ses principes et non quelqu’un qui en usurperait les titres ou l’identité?
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La procédure mise en œuvre par la PAF s’est traduite par l’immobilisation d’un bus qui transportait une quarantaine d’enfants (je ne dispose pas du chiffre exact) dans le but de permettre à la police de se saisir le plus rapidement possible de Léonarda. Les camarades de cette élève semblent avoir été privés de leur liberté sans base légale. En effet, la nécessité d’arrêter Léonarda ne créait pas le droit dans le chef de l’agent de la PAF d’immobiliser le bus dans lequel l’adolescente se trouvait. De surcroît, d’après les informations dont je dispose, la mission confiée aux agents de police aurait pu être conduite avec toute l’efficacité souhaitée sans modification du plan de route du véhicule et sans son immobilisation dans le parking du collège Lucie Aubrac. Les moyens déployés doivent par conséquent être considérés comme disproportionnés et leur légalité ne saurait découler des besoins d’une exécution normale de la mission des policiers.
Je note que la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la France, énonce, dans son article 37, §b que les États signataires veillent à ce que nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. Je remarque également que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques affirme dans son article 9 §1 : Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, précisait déjà, dans son article VII, que nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. L’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 édicte : Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’article 224-1 du code pénal punit, quant à lui, le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne.
J’arrive à la conclusion qu’il aurait fallu, quand bien même l’identité du fonctionnaire de police aurait été établie, que celui-ci excipe d’un document l’autorisant à faire arrêter le bus. Je pense que dans toute situation analogue qui se présenterait à l’avenir, nous devrons exiger ce type de document pour nous nous assurer de la légalité des procédures auxquelles nous serons sommés de collaborer.
Auriez-vous l’amabilité, monsieur le ministre, dans l’hypothèse où mon analyse des faits précités et les conclusions que j’en retire n’auraient pas l’heur de vous agréer, d’instruire vos services afin qu’ils m’en informent? Si, comme je le pense, ma position vous semble conforme au droit, une absence de réponse me permettrait de le présumer.
Je vous prie de agréer, monsieur le ministre, l’expression de mes salutations respectueuses.
Sebastián Nowenstein,
(…)
PS : L’article 40 du code de procédure pénale dispose : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Quel sens faut-il donner au mot connaissance ici ? Il semble clair que le législateur n’a pas pu vouloir exiger dans le chef du fonctionnaire un degré de certitude tel que la disposition se viderait de son sens. D’autre part, que l’on puisse supposer les faits connus du procureur de la République n’est pas de nature à annuler l’obligation de l’en aviser. J’ajoute enfin que j’ai acquis la connaissance de l’infraction dans l’exercice de mes fonctions, alors que je travaillais sur la notion lieux et formes du pouvoir, prévue par le programme du cycle terminal.
Je pense par conséquent devoir porter à la connaissance du procureur de la République la rétention sur ordre d’un agent de la PAF et sans base légale d’un bus occupé par une quarantaine d’enfants. Je souhaitais vous informer de cette démarche que je mets en œuvre, ainsi que la loi m’y oblige, sans délai.