On trouvera ci-après une scène d’un film dont j’écris le scénario actuellement. Cette scène s’articule avec l’article Une grammaire collaborative pour nos élèves. La diphtongaison.
Il s’agit de contribuer à l’acquisition de la diphtongaison et de la conjugaison par les élèves, mais, comme on pourra le voir bientôt, il s’agit aussi d’un travail de fiction qui se veut autonome.
La diphtongaison, le film.
Les élèves entrent en classe et s’asseyent tout en discutant entre eux. La caméra montre de près les visages de plusieurs d’entre eux qui discutent avec animation, puis, ceux de certains qui paraissent un peu éteints. Deux ou trois journaux gratuits seront ensuite devant ces élèves, dont les unes ne sont pas montrées de façon claire.
Le bruit dimininue et on entend l’enseignant :
Chers élèves,
Les élèves qui ont les journaux devant eux soupirent, les rangent et, de mauvaise grâce, sortent les cahiers.
Nous allons travailler sur les temps verbaux.
La caméra montre l’enseignant pour la première fois. Puis, va chercher les élèves qui, maintenant, commencent à écouter.
Nous allons, d’abord, voir le mode indicatif, et, aujourd’hui, dans celui-ci, le présent, le passé composé, le futur, le plus-que-parfait et le conditionnel des verbes réguliers.
Vous allez constater que, pour les quatre derniers temps, la clé, c’est le verbe HAB… Mais non, je ne vais pas vous le dire… À vous de la trouver, cette clé magique !
Le visage enjoué de l’enseignant tranche avec ceux des élèves, qui le sont beaucoup moins.
Mais vous êtes impatients, je le vois. Peut-être aussi un peu sceptiques ? Vous avez du mal à accepter que la grammaire espagnole soit à ce point bonne fille qu’elle veuille ainsi livrer, vous livrer, ses secrets ?
La caméra capture un dialogue chuchoté :
– Et c’est reparti… Oh non… Depuis qu’elle est là, c’est pire que jamais…
(Quand l’élève dit elle, il lève les yeux et regarde la caméra qui, « gênée » se détourne, puis revient rapidement vers l’élève qui continue de la fixer d’un air méchant, ce qui la conduit à rechercher le prof à nouveau).
HABER, au présent de l’indicatif, se conjugue comme ceci :
Alors que le prof écrit au tableau, un élève glisse la main dans son sac-à-dos pour faire ressortir un bout de journal, puis le range rapidement.
HE
HAS
HA
HEMOS
HABÉIS
HAN
Le passé composé, on le forme avec HABER + le participe passé :
HE cantado
HAS cantado
HA cantado
HEMOS cantado
HABÉIS cantado
HAN cantado
Le participe passé des verbes du deuxième et du troisième groupe se termine par –ido : bebido, subido
Le futur simple, quant à lui,…
Le ton de la voix du prof change brutalement :
Et le LOSC, tu m’écoutes ?
… se conjugue de la façon suivante :
CANTARÉ
CANTARÁS
CANTARÁ
CANTAREMOS
CANTARÉIS
CANTARÁN
-Moi ?
L’élève porte une veste avec un écusson discret du LOSC
-Oui, toi, c’est quoi ton prénom ?
-Marc.
-Tu suis, Marc ?
-Oui, monsieur.
-Ah, d’accord, parfait, cela me fait plaisir.
Élipse : on n’a pas montré le prof en train d’écrire tout ceci. À un moment, les verbes étaient écrits au tableau.
Est-ce que vous voyez un lien entre le passé composé et le futur ?
Silence.
Mais oui, vous l’avez compris ! Mais tout à fait, bravooo !
On forme le futur avec le présent de HABER, dont on prend les terminaisons, que l’on ajoute à l’infinitif : cantar-é, cantar-ás, cantará, cantar-emos, cantar-éis, cantar-án.
Du reste, en français, c’est pareil : je mangerai, tu mangeras, il mangera, nous mangerons, vous mangerez, ils mangeront.
Vous pouvez, dans une première approche, penser à la construction : j’ai à faire ceci ou cela, puis vous dire que ce qu’on fait, quand on construit le futur, c’est qu’on met le verbe AVOIR non pas avant, mais après l’infinitif. Si vous remontez suffisemment loin dans le temps en espagnol, vous trouvez des constructions comme celle-ci : comer he, qui devient plus tard, comer-he, puis comeré, la forme actuelle.
Pour le plus-que-parfait et pour le conditionnel, vous avez le même rapport :
Le plus-que-parfait, vous le formez avec HABER à l’imparfait :
HABÍA cantado
HABÍAS cantado
HABÍA cantado
HABÍAMOS cantado
HABÍAIS cantado
HABÍAN cantado
… et le conditionnel, avec les terminaisons de HABER à l’imparfait, que vous ajoutez à l’infinitif :
CANTARÍA
CANTARÍAS
CANTARÍA
CANTARÍAMOS
CANTARÍAIS
CANTARÍAN
Pour les verbes du deuxième et du troisième groupe, vous faites la même chose : comería, subiría, etc.
-Marc, comment te sens-tu ?
-Euh…
-Je veux dire, là, tu es content ?
-Euh…
-Vous êtes contents, les enfants. Vous êtes, vous êtes, heureux, voilà. Je le vois. Vous avez compris.
-Tu es content, Marc…
-Euh, oui, monsieur. (peu convaincant).
– Oui, je comprends. J’ai déjà connu ça. Au début, vous êtes un peu sceptiques, puis vous voyez comment tout s’enchaîne, voilà, avec une précision mathématique… hein, Marc ?
– Oui, monsieur, je suis content, monsieur, c’est, euh, euh,…
– C’est beau, oui, tout à fait, Marc.
Mais ce n’est pas tout, vous allez voir. Ce n’est pas fini…
Soupirs.
J’ai encore plein de choses formidables pour vous dans ma besace.
Quelques murmures.
Allez, continuons, il ne faut pas que la sonnerie nous surprenne ne plein milieux de notre exploration !
Nous avons aussi parlé du présent des verbes réguliers, que je rappelle ici :
CANTAR CANTO CANTAS CANTA CANTAMOS CANTÁIS CANTAN |
BEBER BEBO BEBES BEBE BEBEMOS BEBÉIS BEBEN |
SUBIR SUBO SUBES SUBE SUBIMOS SUBÍS SUBEN |
Nous avons remarqué le -o de la première personne et le fait aussi que les conjugaisons du deuxième et du troisième groupe se ressemblent beacoup : elles ne se différencient qu’à la première et deuxième personnes du pluriel.
Lorsque nous avons parlé du présent, nous avons évoqué la diphtongaison. Ce phénomène phonétique se manifeste dans la transformation du –e en –ie et du –o en –ue. Le verbe PENSAR, par exemple, se conjugue comme suit :
PIENSO
PIENSAS
PIENSA
PENSAMOS
PENSÁIS
PIENSAN
Vous pouvez remarquer que le –e de l’infinitif est devenu –ie aux trois premières personnes du singulier et à la troisième du pluriel. On a vu qu’on peut avoir un phénomène comparable avec le –o de MORDER, par exemple :
MUERDO
MUERDES
MUERDE
MORDEMOS
MORDÉIS
MUERDEN
Maintenant, si vous conjuguez PENSAR ou MORDER à tous les temps, vous allez observer que la diphtongaison ne se manifeste qu’au présent de l’indicatif, au présent du subjonctif et à l’impératif. Pourquoi ?
Parce que la diphtongaison n’affecte que les voyelles accentuées : dans mordemos, l’accent tonique se situe sur le –e et non sur le -o du radical qui, du coup, est épargné par la diphtongaison. Si vous prenez le futur de MORDER, vous avez la même situation : le -o n’étant pas accentué, il ne diphtongue pas.
Est-ce que la diphtongaison existe en français ?
Silence.
-Non, vous dites non ?
-Mais, on a rien dit, monsieur !
-C’est vrai, mais j’ai entendu que vous pensiez très fort qu’il n’y avait pas de diphtongaison en français… et puis c’est comme ça que c’est prévu dans mon cours. Donc, vous pensez que…
-Ah tiens, monsieur, madame V m’a dit de…
–Tiens ! Tu as bien dit tiens ?
-Euh…
-Bravo, Laurine, bravo, vraiment. Parfois vous faites semblant de ne pas suivre, mais je sais que c’est votre timidité qui vous rend un peu taiseux des fois. Bravo, donc, oui, bravo ! TENIR, tout à fait. Conjugons donc ensemble : je tiens, tu tiens…
Au fur et à mesure que la classe conjugue, le ton monte. Ils tiennent est une espèce de clameur. Les visages des élèves reflètent de l’engagement, de l’émotion.
Le prof, comme gêné :
-Chut, doucement.
-Eh, monsieur, pour POUVOIR, MOUVOIR et VOULOIR, c’est pareil ! En fait, pour le -o, c’est moins évident que pour le -e, puisqu’on n’obtient pas la même « diphtongue », (geste de faire des guillemets ») qu’en espagnol : -eu, en français, -ue, en espagnol. Mais on peut retenir que je peux, c’est puedo, et je meus, c’est muevo…
Le prof : euh, oui, oui.
-Et puis, monsieur, la diphtongaison ne concerne pas que les verbes !
Différents élèves -Ah bon ? Tu crois vraiment ? Tu es sûre ?
– Non, regardez : puerta (porte), puerto (port), mueble (meuble), nuevo (neuf), movimiento (mouvement), tiempo (temps)…
Marc : c’est beau, hein, monsieur ?
Le prof : euh, euh.
– En fait, savoir que la diphtongaison n’affecte pas seulement les verbes peut nous permettre de retrouver le sens d’un mot espagnol : si on remplace le -ue par -eu et le -ie par -e on a des chances de retomber sur le mot français équivalent à celui, espagnol, dont le sens nous échappe…
Le prof se fait de plus en plus petit, il est bouche-bée, une forme de panique semble l’envahir. Il regarde l’heure :
-Vous, vous pouvez ranger, ça va sonner.
– Monsieur, le LOSC nous déçoit.
La caméra montre la une du journal du début de la scène : Le LOSC, une entame catastrophique. Désormais, la grammaire espagnole le remplacera dans notre coeur. Nous savons qu’elle ne nous décevra jamais.
Un autre élève, comme en transe :
Coeur, le mot coeur. Il vient de cor, en latin. Il a diphtongué. Voici son histoire :
cor > cuer > coeur
Le mot espagnol, corazón, lui, n’a pas diphtongué…
Un autre élève, « en transe » aussi :
… parce que le premier o n’est pas accentué !
Les élèves quittent la salle, en ignorant le prof, qui les regarde, hagard.
On entend des mots latins qui se mêlent à l’espagnol et au français.