Des initiales arbitraires remplacent certains noms dans ces documents. On peut se référer à cet article aux effets de définir la nature juridique de ces documents.
A Bruxelles, le mercredi 7 mai 2014.
A l’intention de madame Marie-Hélène Ska pour le CSC Services Publics, de monsieur Jean-Pierre Knaepenbergh pour la CGSP, de monsieur Vincent Gilles pour le SLFP, de monsieur Gert Cockx pour le SNPS, et de Renaers Hendrik, pour le SYPOL.
Madame, Messieurs,
Je me permets de vous saisir d’une affaire aujourd’hui à l’instruction dans laquelle, bien malgré moi, j’ai été contraint de me constituer partie civile pour des faits impliquant des policiers. Ceux-ci, bien malgré eux aussi, à mon estime, m’ont arrêté administrativement à plusieurs reprises sans fondement légal mais obéissant à des ordres. Ces arrestations sont intervenues en raison du fait que je me soustrayais à des contrôles britanniques effectués en gare du Midi, à Bruxelles, et dont l’illégalité manifeste est reconnue par les documents internes de la police aujourd’hui versés au dossier de l’instruction.
Le 1er juin 2010, j’écrivais à monsieur le commissaire divisionnaire Q X pour lui proposer une solution non judiciaire fondée sur la reconnaissance par l’État des torts qui avaient été les siens dans cette affaire. Le 4 octobre de la même année, ayant été l’objet d’une agression de la part des vigiles de S à laquelle mit un terme l’intervention de la police, je renouvelais ma proposition d’un règlement non judiciaire en avertissant toutefois monsieur le commissaire divisionnaire que je ne différerais pas davantage mon recours aux tribunaux en l’absence d’une réponse à mes propositions.
Je vous écris aujourd’hui en tant que citoyen, mais aussi en tant que fonctionnaire et syndicaliste. Je vous demande de contribuer à la défense de l’État de droit, mais je vous demande aussi de défendre une éthique de la fonction publique qui fait de nous les serviteurs de l’État et non d’intérêts particuliers, fussent-ils haut placés. Mais, surtout, le syndicaliste que je suis vous demande de défendre des policiers qui, à ce jour, portent sur leurs épaules des responsabilités qui ne sont pas les leurs, des responsabilités que leur hiérarchie refuse d’assumer.
Vous pourrez, madame, messieurs, si vous le souhaitez, vous faire une idée par vous-mêmes de l’affaire en question ; je vous communique, à cet effet, en annexe, les deux courriels précités adressés à monsieur le commissaire divisionnaire.
J’en viens maintenant à ce qui motive spécifiquement ce courrier :
Les policiers, lors des auditions consécutives aux devoirs d’enquête décidés par madame la Juge, déclarent que les arrestations dont j’ai fait l’objet étaient dues au fait que je troublais l’ordre public et qu’elles n’étaient pas causées par le fait que je me soustrayais aux contrôles illégaux. Ces affirmations sont fausses et il me désole que des policiers que je connais et apprécie (on se tutoie avec certains) aient été contraints, de façon explicite ou non, à les faire1. Les policiers -sauf l’un d’eux- affirment également qu’ils n’ont pas reçu l’ordre de m’arrêter dès lors que je me soustrayais aux contrôles britanniques, alors qu’ils m’expliquaient, lorsqu’ils procédaient aux arrestations, avoir reçu l’ordre de les effectuer. Ces déclarations ont pour seule utilité de protéger une hiérarchie qui s’abrite derrière ces fonctionnaires. Le problème, c’est qu’en assumant une responsabilité qui n’est pas la leur, en se donnant à voir à la justice en tant que seuls responsables, ils s’imputent une faute qu’ils n’ont pas commise et ils risquent d’empêcher que les véritables responsabilités ne soient établies.
En réalité, madame, messieurs, la véritable responsabilité est politique. Elle se situe au delà de la police fédérale. C’est celle des ministres et haut fonctionnaires qui ont signé des arrangements manifestement illégaux et qui ont instrumentalisé la police. Les fonctionnaires de police dont j’ai fait la connaissance au gré des arrestations que j’ai subies pendant ces années, y compris le commissaire-divisionnaire X, qui a eu l’obligeance de venir converser avec moi lors d’une de ces arrestations et qui s’est même réjoui des évolutions suscitées par mes refus de me plier aux contrôles britanniques, sont, j’en suis convaincu, profondément attachés au respect de la légalité démocratique et de la déontologie policière. Mais ils font face à des forces qui les dépassent. C’est pourquoi j’ai jugé opportun et nécessaire de m’adresser à vous, dans la certitude que mon combat est aussi celui que vous devez livrer au quotidien: celui d’une police qui défend la légalité et les libertés publiques et respecte ses personnels, lesquels ne veulent pas autre chose qu’être au service du citoyen.
Convaincu que vous saurez agir de manière appropriée, je souhaite vous offrir mon entière collaboration et suis bien entendu tout disposé à vous rencontrer si vous le jugez nécessaire.
Afin d’agir en toute transparence, je me permets de vous informer que je transmets ce courrier à madame la Juge d’Instruction afin qu’elle apprécie s’il doit être versé au dossier.
Je vous prie de croire, Madame, Messieurs, à l’expression de mes salutations citoyennes
Sebastián Nowenstein.
PS : Auriez-vous l’amabilité, Madame, Messieurs, de m’accuser réception de ce courriel?
Annexe 1.
votre courrier sans date DGA/SPC- en réponse à ma lettre (en fait, un courriel) du 24/01/2010)
sebastian nowenstein <sebastian.nowenstein@gmail.com>
01/06/2010
À Q X
CDP X Q
Chef de service SPC
Monsieur le Chef de Service,
Je me réfère à votre courrier sans date DGA/SPC- en réponse à ma lettre (en fait, un courriel) du 24/01/2010).
J’ai bien reçu les documents que vous avez bien voulu me transmettre[1], ce dont je vous remercie.
Sans doute par mégarde, l’Arrangement administratif conclu le 01-10-2004 ne fait pas partie de l’envoi alors qu’il est annoncé comme annexe dans votre courrier. Auriez-vous l’amabilité de me l’adresser?
Il me semble cependant que l’on peut d’ores et déjà analyser la situation comme suit:
En droit :
1. Un accord a été conclu le 15 décembre 1993 entre la Grande-Bretagne, la Belgique et la France qui porte sur la circulation des trains empruntant la liaison transmanche. Dans son article 2 §2, ce traité dispose : « Un Protocole relatif aux contrôles frontaliers et à la police sur les trains sans arrêt entre le Royaume-Uni et la Belgique via la liaison fixe est annexé au présent Accord et en fait partie intégrante »
2. Un arrangement technique a été conclu le 8 novembre 2004, sur base du traité précité, entre le département de l’Intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le SPF Intérieur du Royaume de Belgique et SECURAIL. Il prévoit dans son article 7 que « Les passagers à destination de Lille seront contrôlés par les Officiers d’Immigration du Royaume-Uni de façon aléatoire. »
3. Cet arrangement technique n’a pas de base légale concernant les trains avec arrêt à Lille puisque l’existence de contrôles britanniques est explicitement limitée aux trains sans arrêt entre Bruxelles et Londres par le traité sur lequel il entend se fonder.
En fait :
1. J’ai été arrêté à plusieurs reprises pour m’être soustrait aux contrôles britanniques.
2. Les contrôles britanniques ne sont pas aléatoires mais systématiques.
3. Les fonctionnaires britanniques effectuent des contrôles d’identité également systématiques sur les voyageurs se rendant à Londres à bord de trains avec arrêt commercial à Lille.
En somme, des contrôles illégaux sont organisés sur le sol belge par des fonctionnaires étrangers avec la participation active de la police qui use d’arrestations illégales et arbitraires pour obliger le citoyen à se soumettre aux dits contrôles.
Qualification pénale de ces faits :
Arrestations arbitraires.
L’arrestation illégale et arbitraire est punie par l’article 147 du code pénal :
« Tout fonctionnaire ou officier public, tout dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publique, qui aura illégalement et arbitrairement arrêté ou fait arrêter, détenu ou fait détenir une ou plusieurs personnes, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans.
L’emprisonnement sera de six mois à trois ans, si la détention illégale et arbitraire a duré plus de dix jours.
Si elle a duré plus d’un mois, le coupable sera condamné à un emprisonnement d’un an à cinq ans.
Il sera, en outre, puni d’une amende de cinquante francs à mille francs et pourra être condamné à l’interdiction des droits indiqués aux n°s 1, 2 et 3 de l’article 31.”
Contrôles par les fonctionnaires britanniques.
Ils tombent sous le coup de l’article 227 du code pénal :
“ Quiconque se sera immiscé dans des fonctions publiques, civiles ou militaires, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans”,
dans la mesure notamment où les contrôles d’identité sur le sol belge relèvent des fonctions de la police belge et non de celles de fonctionnaires d’un état étranger.
Coalition de fonctionnaires.
Les actes posés par le SPI tombent sous le coup de l’article 233 du code pénal :
« Lorsque des mesures contraires aux lois ou à des arrêtés royaux auront été concertées, soit dans une réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, les coupables seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois. »
Les arrestations arbitraires dont je suis l’objet sont systématiques, concertées et manifestement contraires aux lois. Elles sont le fruit de décisions prises au service fédéral intérieur après avis d’un service juridique et d’ordres donnés aux fonctionnaires de police par leur hiérarchie. Un accord technique a été conclu qui contredit le traité sur lequel il entend se fonder. Cette situation dure dans le temps. A moins de conclure à une incompétence difficile à imaginer dans le chef des juristes du service fédéral intérieur, il faut bien penser que des fonctionnaires se sont accordés pour imposer des contrôles illégaux réalisés par des fonctionnaires étrangers en ayant recours si besoin à des arrestations illégales et arbitraires afin d’intimider quiconque entreprendrait de se soustraire aux dits contrôles.
Conclusion.
Je vous demande par conséquent :
1. De donner sans délai instruction à vos subordonnés pour qu’ils cessent d’arrêter quiconque se soustrairait aux contrôles britanniques concernant les trains avec arrêt à Lille.
2. D’enjoindre sans délai aux fonctionnaires britanniques de cesser de pratiquer les dits contrôles et de les y contraindre si besoin par la force.
3. De porter à la connaissance du procureur du Roi ces faits, conformément à l’obligation que vous en fait l’article 29 du Code d’instruction criminelle :
« Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, sera tenu d’en donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou délit aura été commis ou dans lequel l’inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.”
Je souhaite par ailleurs vous informer, sans préjuger des décisions que pourrait prendre le Procureur du Roi, que je suis disposé à rechercher avec vous ou avec l’Etat belge une solution non judiciaire aux arrestations arbitraires dont j’ai fait l’objet. Je tiens à préciser que je ne vise pas un quelconque versement d’argent. Je pense plutôt à une reconnaissance publique des torts qui ont été ceux de l’Etat et à l’engagement que des mesures seront prises pour éviter qu’à l’avenir de tels errements ne se reproduisent.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’expression de mes salutations citoyennes.
Sebastián Nowenstein.
Annexe II.
suites judiciaires
sebastian nowenstein <sebastian.nowenstein@gmail.com>
04/10/2011
À Q X
Monsieur le Chef de service,
Je constate avec regret que les engagements que vous aviez pris dans votre courrier du 22 décembre 2010 n’ont pas été suivis d’effet. Certes, je ne suis plus arrêté, mais à ce jour, les contrôles britanniques des voyageurs empruntant les trains Eurostar à destination de Londres avec un arrêt commercial à Lille sont toujours en place.
Hier, j’ai été agressé par le personnel de S. sous les ordres du duty-manager d’E. avec pour résultat une incapacité de travail de huit jours. La responsabilité première de ces actes incombe à S. et à E. Cependant, rien de ceci ne serait survenu si votre administration n’avait pas conclu des accords contraires à la légalité ou si elle avait fait en sorte que ces accords cessent de produire leurs effets.
Récapitulons :
1. Le SPI signe des accords sur base d’un traité qui prévoit expressément qu’il ne s’applique pas aux situations visées par les accords.
2. Vos subordonnés m’arrêtent à plusieurs reprises pour m’être soustrait aux contrôles sus-mentionnés.
3. Je suis victime d’insultes, de menaces et d’agressions de la part des fonctionnaires britanniques et du personnel d’E et de S. Mes plaintes ne sont jamais suivies d’effet.
4. Je vous écris le 1er juin 2010 pour vous demander de faire en sorte que cette situation cesse.
5. Sept mois après, vous me répondez que des mesures vont être prises. Vous ne répondez pas à ma demande que vous informiez le Procureur du Roi des infractions qui ont été commises.
6. Rien ne change jusqu’à ce jour.
7. Je suis agressé à nouveau, plus brutalement que les fois précédentes.
Deux conclusions s’imposent. D’une part, vous portez une part de responsabilité dans les faits qui se sont déroulés hier. D’autre part, il est extrêmement difficile de ne pas qualifier de coalition de fonctionnaires au sens de l’article 233 du code pénal l’ensemble de ces actes et de ces refus d’agir.
Je vous demande en premier lieu de prendre les dispositions nécessaires pour que ma sécurité soit garantie lorsque je prends le train pour me rendre à mon travail.
Je vous demande en deuxième lieu de faire en sorte que le contrôle britannique des voyageurs en direction de Lille cesse.
Je vous demande en troisième lieu d’informer le Procureur du Roi de l’ensemble de ces faits.
J’ai toujours été loyal et correct à votre égard. Je vous ai proposé de trouver une issue non judiciaire au problème. Je constate avec amertume que mes démarches ont échoué. J’en prends acte et me mets en relation dès aujourd’hui avec un avocat pour étudier les actions judiciaires que je pourrais engager tant à l’encontre de l’Etat belge qu’à l’encontre d’E et de S.
Je reste toutefois ouvert à la possibilité d’un accord avec vous, S et E à condition que vos propositions me parviennent très rapidement. En l’absence de celles-ci, je ne différerai pas d’avantage le recours aux tribunaux.
Je vous prie de croire, Monsieur le Chef de service, à l’expression de mes salutations respectueuses.
Sebastián Nowenstein.
PS : Auriez-vous l’amabilité de m’accuser réception de ce mail?
1Je remarque que ces prétendus troubles de l’ordre public déconnectés de mon refus de me plier aux contrôles britanniques n’apparaissent nullement dans les procès-verbaux d’audition consécutifs aux arrestations. Bien au contraire, c’est bien ce refus qui est mis en avant pour être qualifié -sans fondement- de trouble à l’ordre public. A ma connaissance, la première fois que ces prétendus troubles déconnectés des contrôles apparaissent dans le dossier, c’est dans une réponse faite par madame la ministre Joëlle Milquet à une question parlementaire. On peut donc se demander si l’idée de ces prétendus troubles n’est pas née au sein du cabinet de madame la ministre.