La fabrique du négationnisme : il n’y a pas de crimes, il y a des associations vaseuses. L’exemple d’un débat sur R. Schuman.

Mon courrier R. Schuman, qui, ministre, contribua à la répression de la rébellion algérienne, peut-il donner son nom à des établissements scolaires ? Lettre au ministre par la voie hiérarchique m’a valu l’échange que je reproduis plus bas. Je le fais parce qu’il me semble qu’il illustre la manière dont le négationnisme, c’est-à-dire, le fait de nier des faits historiques prouvés, peut se mettre en place. Mon contradicteur termine son envoi en écrivant : association vaseuses… Il n’y a pas de crimes, il y a des associations vaseuses.

L’échange est ici : https://blogs.mediapart.fr/sebastiannowenstein/blog/250122/r-schuman-doit-il-etre-celebre-dans-nos-ecoles/commentaires#comment-11108319

13/02/2022 16:14

Par P

Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.

Sur votre blog au design impeccable on peut voir que vous luttez aussi pour le droit à ne pas participer à la minute de silence en l’hommage à Samuel Paty.

Dans un autre article du même blog on peut y lire de votre plume : « Je suis enseignant dans le secondaire et je travaille sur les mécanismes qui permettent de rendre invisibles ou socialement tolérables certaines atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Parmi ces atteintes, figurent la torture, l’assassinat et la disparition de personnes. »

Ce à quoi je ne peux m’empêcher de répondre : ne pensez-vous pas que l’on puisse interpréter dans vos combats personnels la tentative d’invisibiliser, ou de rendre tolérable l’assassinat ignoble d’on M. Paty a fait l’objet ?

Je pars du principe que ce n’est pas le cas. J’admets que ma question est volontairement tendancieuse. Mais comprenez que votre approche pour faire disparaître le nom de Schuman l’est au moins tout autant. En plus d’être franchement malhonnête sur le fond (cf Socrate est un chat).

Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre, P.

Quelques remarques, cependant :

1. Je constate l’absence de base légale permettant d’imposer une minute de silence.

2. J’affirme, au surplus, qu’un hommage rendu au nom de la liberté ne se conçoit que dans la liberté d’y participer ou de ne pas le faire.

3. J’affirme, en outre, que poursuivre par des moyens divers, un élève qui aurait fait usage de sa liberté de conscience en ne participant pas à un hommage constitue un abus de pouvoir en ceci que le principe de légalité (pas de peine sans loi) serait méconnu. J’affirme, par conséquent, que ce faisant, on a créé une infraction sans base légale et que l’on a ainsi pénalisé un comportement qui relève de l’exercice d’un droit fondamental.

4. Je rejette le syllogisme qui voudrait que constater qu’un acte de la puissance publique contient une illégalité permettrait de m’imputer valablement la volonté d’invisibiliser l’assassinat de Samuel Paty.

5. Je ne crois que la crainte de se voir imputer une telle volonté doive conduire le fonctionnaire que je suis à ne pas critiquer un acte par lequel la République, à mon estime, méconnaît ses principes. Je vous prie de croire que mes écrits m’ont valu des désagréments. Je les ai endurés car il m’a semblé qu’il était de mon devoir de m’exprimer comme je l’ai fait.

6. Je ne veux pas faire disparaître le nom de Schuman. Je voudrais, au contraire, que l’on parle de lui, de ce qu’il a fait et de ce qui a permis d’occulter l’époque de sa vie pendant laquelle il agit pour qu’on n’entendît pasles cris de ceux qu’on torturait, les pleurs des proches de ceux que l’on tua et, surtout, pour leur refuser l’accès aux tribunaux aux victimes de la répression brutale mise en place par l’armée française pour lutter contre la rébellion algérienne.

7. Je ne vois pas en quoi cette démarche de vérité historique serait comparable à l’imputation sans fondement que vous formulez selon laquelle je voudrais invisibiliser l’assassinat de Samuel Paty.

8. Je ne comprends pas en quoi le syllogisme par lequel vous ouvrez et fermez votre commentaire me concerne. Schuman n’est pas responsable de ce que d’autres ont fait, il l’est de ses actes. Ce sont ces derniers qu’on peut lui reprocher, ces derniers qui rendent problématique que l’on enseigne les valeurs de la République dans un établissement qui porte le nom d’un homme qui les trahit lorsqu’il avait le devoir de les défendre.

  • 13/02/2022 17:44
  • Par
  1. Imposer à qui ? À l’élève ou au professeur ?
  2. Deux choses :  d’abord l’hommage n’est pas rendu «au nom de la liberté» comme vous le prétendez mais à M. Paty, ensuite la liberté n’implique pas que l’on puisse s’exprimer à tout moment en classe sans risquer une sanction. Pas de droit sans devoir.
  3.  De quoi parlez-vous au juste ? Poursuite disciplinaire ou poursuite pénale ? Vous pensez sérieusement que toute intervention orale d’un élève relèverait de sa liberté de conscience ?
  4. Toujours pareil. Tant que vous restez dans le flou, ce que vous dites n’a pas lieu d’être. Un chef d’établissement peut sanctionner un élève au motif qu’il ne respecte pas une minute de silence, très sévèrement s’il le faut. Aucun rapport avec le droit. Aucun rapport avec d’éventuelles poursuites qui auraient eu lieu contre des élèves tenant des propos graves et pas seulement irrespectueux de la minute de silence. Pour le reste je ne doute pas de vos intentions (comme je l’ai déjà dit auparavant). Mais je fais le parallèle avec vos propres procès d’intentions.
  5. Encore une fois. Je ne doute pas de vos intentions.
  6. A minima, vous voulez qu’ils disparaissent des noms d’établissements …
  7. J’ai de très sérieux doute sur la part de vérité historique contenue dans vos affirmations. On a bien compris que vous étiez professeur agrégé, mais vraisemblablement mais pas agrégé d’histoire et encore moins historien …
  8. Il ne s’agit pour l’essentiel que de ça : d’associations vaseuses.

L’exactitude de ce que j’affirme ne découle pas de mon grade ou de ma qualité ou non d’historien, mais des sources que je cite, que vous pouvez vérifier, mais que vous préférez écarter au motif que, supposez-vous, je ne serais pas historien; au motif, plus vraisemblablement, qu’elles dérangent vos certitudes. L’encre de la plume de Schuman ne s’efface pas, pourtant ; sa complicité avec les tortures, viols, assassinats et disparitions commis par l’armée ne disparaît pas parce que vous ne regardez pas les documents qui la démontrent, parce que vous doutez.

Zemmour aussi doute. Lui aussi récuse les travaux des historiens, d’un revers de la main, sans démontrer en quoi ils sont faux.

Vous pouvez penser tout le mal que vous voulez de moi. Mais pouvez-vous démontrer que les travaux que je cite sont mensongers ? C’est ce qui compte.

Prendre la décision de participer à l’hommage rendu par la Nation à Samuel Paty ou de ne pas le faire est tout sauf anodin. C’est un acte qui engage la conscience d’un individu, élève ou pas. La liberté de conscience n’est pas seulement celle de dire des choses sensées. Elle est garantie à chacun.

Aucun chef d’établissement ne peut sanctionner un élève sans base légale, les sanctions dépassant huit jours d’exclusion sont prises par le conseil de discipline. Les sanctions disciplinaires, du reste, peuvent être contestées devant le tribunal administratif et le sont souvent. Les sanctions, c’est du droit. Mais votre propos est représentatif d’une idéologie répandue : le droit s’arrête aux grilles de l’École. Il reste que votre opinion ou votre idéologie ne peuvent se substituer à la réalité dans le cadre d’un débat argumenté.

Je ne fais pas de procès d’intentions à Schuman, je constate ses actes, qui sans la loi d’amnistie, qui décrète leur oubli judiciaire, seraient des crimes.

Qui faut-il protéger ? Profs et élèves. La société aussi.

Ma collègue B, dont le père, âgé de 16 ans, fut torturé, ne travaille pas au lycée R. Schuman, mais elle pourrait y être muté. Faudrait-il qu’elle serve la République, comme elle le fait de façon remarquable, sous l’égide de Schuman ? Est-il juste que la petite fille d’une femme violée par les parachutistes étudie sous l’égide de Schuman ? Et Jean, appelons-le Jean, faut-il lui dire d’adhérer aux valeurs de la République alors que cette République célèbre Schuman ?

Vous confondez histoire et célébration (sur le sujet, vous pouvez lire Laure Murat). L’histoire se fait dans les archives et dans les instituts de recherche, elle se publie dans des revues savantes et des ouvrages ; la presse sérieuse en rend compte. Elle s’enseigne à l’école et à l’université. La célébration est un acte de nature différente par laquelle une communauté décide d’honorer un homme (ce sont souvent des hommes) dont la vie doit être une source d’inspiration. Je vous rappelle la circulaire du 28 janvier 1988 portant sur la dénomination des établissements d’enseignement public que je cite dans mon courrier :

Ainsi, les dénominations d’établissements scolaires devraient constituer pour les jeunes générations présentes et futures autant d’exemples particulièrement choisis, et donc avoir une valeur éducative.

Le fait de nommer un établissement scolaire de telle ou telle manière n’a pas d’effet sur l’Histoire. C’est une célébration, ce n’est pas de l’Histoire.

Il est vrai, cependant, que la célébration peut rendre plus ardue la connaissance de l’Histoire. En donnant le nom de Schuman à un établissement scolaire, l’État (le Conseil Régional) crée dans l’esprit du citoyen en général, et de l’usager du service public d’éducation en particulier, la présomption que la vie de Schuman a une valeur exemplaire, ce qui rend plus difficile, voire très difficile, d’accepter que Schuman ait agi comme il l’a fait.

A l’évidence, vous êtes vous-même prisonnier de cette présomption.

Des associations vaseuses, dites-vous, ainsi, pour finir. Il n’y a pas de crimes, juste des associations vaseuses.  Votre ignorance du droit, votre volonté d’écarter les faits et vos biais idéologiques vous conduisent au négationnisme.

Concernant les interrogations que vous m’adressez au sujet des sanctions ayant frappé les élèves qui n’ont pas respecté les différentes minutes de silence par lesquelles il a été rendu hommage à des victimes d’actions terroristes, je pense que vous trouverez les réponses appropriées ici : https://sebastiannowenstein.org/category/minute-de-silence/

La participation de Robert Schuman à la répression de la rébellion algérienne est effectivement un fait historique. De ce fait, donner le nom de Robert SCHUMAN a des établissements scolaires est une indignité nationale, une séquelle insidieuse du colonialisme qui joue sur l’ignorance des gens ! Désormais il faudra soit expliquer sur une plaque, soit changer de nom !

Publier un nouveau commentaire :