Lycéens, étudiants et journalistes, II

Document de travail

Nous progressons, notre idée se précise et nous sommes devenus optimistes et ambitieux. Nous voulons :

  • mettre en place un outil (un blog) permettant de faire connaître les articles de nos élèves,
  • faire connaître auprès des médias cet outil,
  • rechercher des collaborations avec des établissements étrangers pour donner une portée internationale à nos enquêtes,
  • enquêter sans limite de temps,
  • définir une manière modeste mais rigoureuse d’exercer un journalisme non professionnel, collaboratif et résillient,
  • créer une information fondée sur des interactions denses et étendues.

Je développe ces points dans les lignes qui suivent en les illustrant par des exemples d’enquêtes susceptibles de s’intégrer dans notre démarche. On trouvera sans doute mes propositions répétitives, mais on sera très libres d’en choisir d’autres.

Nous allons donc proposer à nos élèves de faire du journalisme. Ils seront accompagnés par les enseignants qui prendront part au projet et par BCD, journaliste.

Nous souhaitons que certains des articles de nos élèves soient publiés par la presse régionale, voire nationale. Il faut, pour cela, qu’ils soient accessibles, ce qui sera facilité par la diffusion d’un bulletin qui rendra compte de nos travaux. Ce bulletin aura aussi pour objectif de donner un espace d’existence aux articles qui ne seront pas publiés (la plupart d’entre eux, sans doute).

Ce bulletin aspire également à faciliter des collaborations que je nommerai hybrides dans lesquels nos élèves travailleraient avec des journalistes dans une enquête sans pour autant tenir la plume.

Nous pensons nos enquêtes comme étant sans limite dans le temps. Nous voulons suivre la qualité de l’eau distribuée dans notre région ou la manière dont nos élèves se nourrissent sur le long terme.

Dans ce reportage sur les polluants éternels qui sont présents dans l’eau du robinet, Radio France se flatte avec raison de sa présence dense dans le territoire français. Mais le maillage qu’assurent les lycées l’est encore plus. Nos enquêtes prendront appui sur cette force et se caractériseront par le nombre élevé et la diversité de nos sources.

Nous voudrions que nos enquêtes soient internationales et nous aspirons, pour ce faire, à mettre en place des partenariats avec des établissements étrangers.

Exemples d’enquêtes

Dans la première note que je vous ai proposée, j’insistais sur l’intérêt que revêt pour nous d’associer nos enquêtes à nos programmes. J’illustrais mon propos avec le programme des BTS en culture générale, qui porte sur l’alimentation. Dans les exemples que je vous soumets maintenant, je reste sur cette thématique tout en la croisant avec celle du droit. Ce dernier annonce des contrôles stricts sur la qualité de ce que nous consommons, mais, souvent ou parfois, échoue à faire advenir les effets attendus.

Les fraises espagnoles

Les aquifères espagnols sont surexploités. L’Espagne et le Portugal méconnaissent les obligations que leur crée la législation européenne en matière de débit des cours d’eau (voir ici, en espagnol). La province andalouse de Huelva est le premier européen de fraises, une activité très consommatrice d’eau qui, captée en partie illégalement, manque au parc naturel de Doñana. Pour ne pas avoir protégé ce dernier, l’Espagne s’est vu condamnée par la justice européenne. Les fraises espagnoles sont décriées pour d’autres motifs : on les dit fades, dures et chargées de produits chimiques. Notre enquête portera sur les fraises espagnoles consommées à Lille.

Nous interrogerons des consommateurs, des producteurs, des distributeurs, des pâtissiers, des chefs et des chercheurs et universitaires. Nous nous interrogerons sur l’information dont dispose le consommateur.

J’ai travaillé sur ce sujet ; on peut consulter mes posts ici. Une démarche collective serait nécessairement différente de ce que, seul, j’ai fait.

Les lois Egalim et la restauration collective

Les États généraux de l’alimentation ont donné lieu à trois lois Egalim entre 2018 et 2023. Une quatrième était prévue pour l’été 2024.

Vue du lycée, la loi Egalim est cette disposition impossible à respecter qui nous fait obligation d’inclure dans les repas de nos cantines 50% de produits bio ou de circuit court (ceci est une version résumée de l’article L230-5-1 du Code rural, consultable ici). Dans son enquête de 2024, l’Association des Maires de France (AMF) ne contredit pas notre comptable. Dans la page 4 de son Enquête 2024 La restauration scolaire : des communes volontaires malgré les difficultés persistantes, l’AMF écrit :

Seulement 18 % des communes respectent les seuils de 50 % de produits de qualité et durables, dont 20 % de bio, en vigueur depuis le 1er janvier 2022. »

Enquête 2024 La restauration scolaire : des communes volontaires malgré les difficultés persistantes

Notre article, ce sera Egalim vue du lycée. Il faudra comprendre comment il se fait que cette loi si importante ne soit pas appliquée.

L’eau

Le seul aliment indispensable, l’un des aliments les plus contrôlés de France est-il de bonne qualité ? L’eau qui sort des robinets lillois contient trop de pesticides. Nestlé, producteur emblématique d’eaux minérales, reconnaît avoir eu recours à des techniques de purification interdite, nous dit Le Monde :

Pendant des années, des eaux vendues comme « de source » ou « minérales naturelles » ont subi des techniques de purification interdites. Selon une enquête conjointe du « Monde » et de Radio France, un tiers au moins des marques françaises sont concernées, dont celles de Nestlé, qui a reconnu ces pratiques. Informé depuis 2021, le gouvernement a assoupli la réglementation dans la plus grande discrétion. »

https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/30/eaux-en-bouteille-des-traitements-non-conformes-utilises-a-grande-echelle_6213815_3244.html

En 2022, Le Monde citait les propos inquiétants de Michel Laforcade :

L’ex-directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine Michel Laforcade, en retraite depuis 2020, estime que les autorités sanitaires ont « failli » sur la question des pesticides et de leurs produits de dégradation, les métabolites. « Il y a beaucoup d’autocensure dans l’administration, une sorte d’incapacité à regarder la réalité, témoigne-t-il. Un jour, on devra rendre des comptes. Ce ne sera peut-être pas de la même envergure que l’affaire du sang contaminé, mais cela pourrait devenir le prochain scandale de santé publique. »

https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/21/pesticides-20-des-francais-ont-recu-de-l-eau-potable-non-conforme-en-2021_6142608_3244.html

Dans le même article, on lit :

En fonction de leur géologie, des pratiques agricoles dominantes, de leurs ressources (eaux de surface ou souterraines), les régions sont diversement touchées. Les Hauts-de-France connaissent la pire situation, avec 65 % de la population concernée par des non-conformités. »

L’article que je viens de citer est d’une lecture ardue. Il nous donne un aperçu à la fois des limites des dispositifs de vigilance et de leur complexité. Il est très difficile d’identifier les responsables de cet état des choses et du fait que les Lillois boivent une eau riche en pesticides. Est-ce au Législateur qu’il faudra, in fine, imputer la responsabilité de la situation, puisqu’il n’a pas pris les mesures qui auraient permis aux habitants des Hauts-de-France de disposer d’une eau de qualité ? Faudra-t-il rechercher la responsabilité de l’État, comme dans l’Affaire du siècle ? L’Union européene remplit-elle son rôle ?

Notre enquête aura des ambitions plus modestes. Elle s’efforcera de suivre la qualité de l’eau sur le long terme, ainsi que les politiques mises en oeuvre pour en garantir la qualité. Elle cherchera aussi à donner des visages à celles et ceux qui nous garantissent une eau pas trop mauvaise. Ou qui, d’aucuns le pensent, cachent des informations ou les présentent de telle sorte qu’il n’y ait pas de panique et que les exploitations agricoles et les industries continuent de tourner.

Rappelons, à ce sujet, un mail qui a fait du bruit :

Le 22 septembre, les directeurs des agences régionales de santé (ARS) étaient conviés à un séminaire sur le sujet au ministère de la santé. Rien n’en a filtré, à part un courriel adressé le lendemain par Didier Jaffre, le directeur de l’ARS Occitanie, à ses cadres, où transparaît une certaine fébrilité. « Très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours ; il y a des PFAS et des métabolites [de pesticides] partout, écrit-il dans ce message révélé le 18 octobre par Le Canard enchaîné. Et, plus on va en chercher, plus on va en trouver. » M. Jaffre allait plus loin, jetant le doute sur la sécurité sanitaire de l’eau distribuée aux usagers.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/09/les-alertes-a-la-pollution-de-l-eau-potable-se-multiplient-un-peu-partout-en-france_6199100_3244.html

Malbouffe et publicité

On peut dire malbouffe, puisque le programme du BTS emploie ce terme :

Et de nos jours ? Que deviennent ces arts de la table par-delà la généralisation de la malbouffe et l’engouement pour les fast-foods ?

https://www.education.gouv.fr/bo/2024/Hebdo14/ESRS2405917N

Nous tous, et nos élèves en particulier, sommes soumis à une pression intense de la part de l’industrie alimentaire. Il s’agira d’enquêter sur cette pression publicitaire et sur le fait de savoir si le faire nous en libère un peu : notre article doit porter sur l’industrie de la malbouffe, sur son influence et sur nous pendant notre enquête.

Déjouer les mécanismes qui nous conduisent à ne pas vouloir voir ce que l’on sait (on mange mal) devrait nous aider à mettre en œuvre ce qu’il faut pour faire ce qu’il est raisonnable de faire (manger mieux).

Nous nous efforcerons de mettre en place une étude nutritionnelle locale sur la durée. Nous proposerons à des établissements partenaires de pays étrangers d’en faire de même.

Malbouffe ? Il faudra, malgré la consécration que le terme a reçu par son inclusion dans le BO 4 avril 2024, s’interroger sur la pertinence scientifique d’un terme dont l’emploi est parfois mâtiné de mépris social.

Le Nutri-score

Bruxelles, c’est à côté, pour nous, Lillois. Nous demanderons à un lycée bruxellois de collaborer avec nous dans une enquête qui cherchera à montrer qui sont ces lobbyistes qui agissent pour que les États n’imposent pas le Nutri-score aux industriels de l’agro-alimentaire.

N’est-il pas étrange qu’une disposition européenne interdise (article 38 du Réglement de 2011) aux États d’exiger un étiquetage qui ne fait que traduire en un code de cinq lettres et couleurs les informations nutritionnelles qui apparaissent obligatoirement sur l’emballage ? L’harmonisation européenne visant à assurer la libre circulation des marchandises a pour effet d’empêcher les Etats de mettre en oeuvre des mesures de protection des consommateurs. Une situation qui rappelle celle du tabac, dans laquelle l’UE a excipé de sa compétence en matière de libre circulation des marchandises pour légiférer, alors qu’elle n’a pas de compétences en matière de santé publique. Le résultat fut, on s’en souvient, favorable à l’industrie du tabac. Il serait intéressant de mettre en regard les deux situations. On peut consulter le courrier que j’ai préparé à l’attention de l’eurodéputée LR Françoiser Grossetête, qui s’était montrée active sur le sujet.

Le Monde évoque la bataille contre le Nutri-score ici. Nous prolongerons son enquête.

Ce faisant, nous aurons l’occasion de réfléchir à la manière dont se prennent les décisions dans les instances européennes et à la singulière prolifération de fake news que l’Italie et l’industrie ont suscitée pour mettre à bas un outil d’information que les consommateurs plébiscitent.

Qui choisit ce qu’on mange ?

Quand je pose cette question à mes élèves, ils me disent que c’est eux. Ou leurs parents. Ou le chef de la cantine.

C’est vraix et faux en même temps. Nous allons enquêter sur les influences innombrables qui, aditionnées, finissent par déterminer ce qui arrive dans notre ventre.

Il s’agira de comprendre comment il se fait que nous mangions trop gras, trop salé, trop sucré alors que nous savons que cela est mauvais pour notre santé. Et il s’agira de comprendre aussi pourquoi il nous est si difficile de tenir compte des effets su l’environnement de notre mode d’alimentation.

Nous examinerons les injonctions parfois contradictoires que délivrent les autorités. L’UE cherche à réduire la part de la viande dans l’alimentation des citoyens européenns… et, en même temps, finance une campagne destinée à contrer la désaffectation croissante de la jeunesse danoise pour le viande de porc (The illusion of choice, p. 28). De nombreux exemples de campagnes européenne de promotion de la viande et d’autres produits d’origine animale sont consultables ici.