Affaire Sandoval. De l’art de voir ou de ne pas voir des terroristes.

La lettre volée.

Il y a eu, en France, entre novembre 2015 et février 2016, plus de 3000 perquisitions de domiciles. 1 % de ces perquisitions ont donné lieu à des chefs d’inculpation pour terrorisme1.

En 2007, Le Monde diplomatique révélait2 que Mario Sandoval avait été conseiller politique des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), un groupe paramilitaire et terroriste colombien (classé comme tel par l’UE) responsable de 150.000 morts et de 80 % des assassinats de civils survenus lors du conflit colombien. Quelques années plus tard, Sandoval lançait des poursuites pour diffamation contre une quarantaine de médias qui avaient révélé qu’il avait été membre de la police argentine et, à ce titre, de l’appareil répressif de la dictature militaire (1976-1983). Sandoval s’était gardé de poursuivre Le Monde diplomatique3.

La justice française s’est-elle intéressé à cet homme qui conseillait au plus haut niveau une organisation terroriste à laquelle on impute 30 fois plus de morts que ceux qu’on impute à Daesh en Syrie et qui était l’un des tout premiers exportateurs de cocaïne vers l’Europe ? De cet intérêt possible, je ne trouve nulle trace.

Ce que je vois, par contre, c’est qu’un ancien directeur de la DGSE a pris publiquement la défense de Sandoval en 20124. Ou que ce dernier a continué à être vice-président de la Association internationale française francophone d’intelligence économique (AIFIE) au moins jusqu’en 20135. Ou qu’un haut fonctionnaire du ministère de la Défense parle dudit Sandoval en des termes flatteurs dans un livre qu’il publie en 2011 pour aider les candidats de l’ENA à préparer leur concours6.

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Blanquer et l’article 40 du code de procédure pénale.

Parce que le syndicat SUD avait organisé un stage de formation syndicale dont l’annonce contenait certains termes qui l’indisposaient, le ministre de l’Éducation Nationale saisit le procureur de la République en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale7. Le ministre succomba, évidemment, la justice estimant qu’il n’y avait pas eu d’infraction et le ministre n’insista pas.

Pourtant, ce même Blanquer ne semble pas avoir pensé8 à saisir le procureur du cas Sandoval. Pourtant, Blanquer, un spécialiste reconnu de la Colombie, n’ignorait rien de ce qu’étaient les AUC. Pourtant, Blanquer connaissait bien Sandoval, qu’il avait embauché en tant qu’enseignant pendant qu’il dirigeait l‘Institut des hautes études d’Amérique latine (IHEAL) et dont il renouvela le contrat sans discontinuer pendant toute la durée de son mandat à la tête de l’Institut en question9.

On peut avoir des interprétations différentes de l’article 40. Il est difficile, cependant, de rendre compatibles une interprétation étroite de l’article 40 quand il s’agit de Sandoval et une interprétation élargie quand il s’agit de SUD.

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Le marquis de Chasseloup-Laubat.

« Il y a fort à parier que le marquis de Chasseloup-Laubat, s’entraînant à l’escrime (…), ne sera pas réputé a priori coupable de vouloir dynamiter Notre-Dame. Mais il est sûr que Mouloud, s’il coupe sa viande avec autre chose qu’une cuillère en bois, est inscrit à une salle de boxe, et surfe malencontreusement sur Internet, aura toutes les peines du monde à se défaire du filet jeté sur lui. »10

C’est maître Sureau, avocat de la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui s’exprime ainsi. Il le fait dans le procès d’Amadou S, qui a fait sept mois de prison préventive sur la base de trois bouteilles d’eau reliées par du ruban adhésif et des navigations suspectes sur Internet incluant le site de l’Assemblée nationale. Amadou S. est atteint de troubles psychiatriques.

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Pour finir…

1. On ne saurait exclure que l’inflation législative en matière de lutte contre le terrorisme dépasse dans ses buts la lutte contre le terrorisme.

2. Il se pourrait que l’application de la législation antiterroriste cible certaines franges de la population et en ignore d’autres. La gravité des actes ne semble pas être un critère permettant de prédire l’intérêt que la justice va accorder auxdits actes.

3. La gravité des actes commis sur le sol français pourrait être un élément d’explication du désintérêt de la justice à l’égard de Sandoval. Il serait, ainsi, moins grave d’être conseiller au plus haut niveau des AUC que de récolter de l’argent pour la cause kurde11. Une telle hiérarchie paraît toutefois difficile à défendre.

4. On peut s’interroger sur le caractère général de la loi lorsque celle-ci semble s’appliquer sans avoir égard à la gravité des faits et qu’elle paraît cibler certaines catégories de la population et en épargner d’autres.

1Voir https://www.amnesty.be/IMG/pdf/eur0153422017_french_full_report-12jan.pdf

2Voir https://www.monde-diplomatique.fr/2007/05/MAZURE/14697. Voir aussi https://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-2364267

3La justice française a extradé monsieur Sandoval en Argentine et, ce faisant, a donné tort à ce dernier, qui prétendait être victime d’une homonymie.

4Voir https://sebastiannowenstein.org/2019/12/31/affaire-sandoval-son-etrange-defense-par-lancien-directeur-de-la-dgse/

5Voir https://sebastiannowenstein.org/2019/12/25/affaire-sandoval-lettre-a-p-clerc-president-du-conseil-dadministration-de-laifie/

6Voir https://sebastiannowenstein.org/2019/12/29/affaire-sandoval-lettre-a-m-paillard/

7Voir https://sebastiannowenstein.org/2019/10/16/lettre-par-la-voie-hierachique-au-ministre-blanquer-ceux-qui-denoncent-le-racisme-et-ceux-qui-sen-rendent-coupables-une-demande-de-clarification/

8Monsieur Blanquer a fait dire au journal Libération qu’il n’était pas au courant du passé argentin de Sandoval pour s’exonérer des responsabilités dont on aurait pu penser qu’il aurait été bien inspiré d’assumer en tant que directeur de l’IHEAL. Monsieur Blanquer n’a pas mentionné une quelconque saisine du procureur de la République dans l’affaire Sandoval. Voir Libération, Jean-Michel Blanquer a-t-il engagé Mario Sandoval, accusé de tortures en Argentine, à l’IHEAL en 1999 ?

9Voir https://sebastiannowenstein.org/2020/01/20/affaire-sandoval-lettre-au-ministre-blanquer-iv-ms-a-t-il-represente-liheal-a-letranger/ , https://sebastiannowenstein.org/2020/01/14/affaire-sandoval-lettre-au-ministre-blanquer-iii/ , https://sebastiannowenstein.org/2020/01/02/affaire-sandoval-lettre-au-ministre-blanquer-ii-par-la-voie-hierarchique/ , https://sebastiannowenstein.org/2019/12/19/affaire-sandoval-lettre-au-ministre-blanquer-par-la-voie-hierarchique/

10Voir https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/04/07/terrorisme-le-conseil-constitutionnel-encadre-la-justice-preventive_5107329_1653578.html

11Voir https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-compare-2014-4-page-849.htm#re9no9