Corona VI. La tierra. Aceituneros.

Chères et chers élèves,

Voici mes propositions de travail pour cette semaine. Si vous voulez en faire plus qu’une, à votre aise. Si vous voulez travailler à plusieurs sur une ou plusieurs propositions, vous pouvez aussi.

Souhaitez-vous modifier les consignes de travail ? C’est possible, à condition de m’avoir soumis auparavant le sujet que vous souhaitez traiter et d’avoir reçu mon approbation. Comme d’habitude vos travaux seront corrigés, mais pas notés.

Je vous demande de commencer votre séance de travail par la lecture du célèbre poème de Miguel Hernández Aceituneros. Je vous demande de le lire d’abord sans l’aide d’un dictionnaire ou des traducteurs automatiques qui sont à votre disposition. Voici le poème :

Andaluces de Jaén,

aceituneros altivos,

decidme en el alma: ¿quién,

quién levantó los olivos?

No los levantó la nada,

ni el dinero, ni el señor,

sino la tierra callada,

el trabajo y el sudor.

Unidos al agua pura

y a los planetas unidos,

los tres dieron la hermosura

de los troncos retorcidos.

Levántate, olivo cano,

dijeron al pie del viento.

Y el olivo alzó una mano

poderosa de cimiento.

Andaluces de Jaén,

aceituneros altivos,

decidme en el alma: ¿quién

amamantó los olivos?

Vuestra sangre, vuestra vida,

no la del explotador

que se enriqueció en la herida

generosa del sudor.

No la del terrateniente

que os sepultó en la pobreza,

que os pisoteó la frente,

que os redujo la cabeza.

Árboles que vuestro afán

consagró al centro del día

eran principio de un pan

que sólo el otro comía.

¡Cuántos siglos de aceituna,

los pies y las manos presos,

sol a sol y luna a luna,

pesan sobre vuestros huesos!

Andaluces de Jaén,

aceituneros altivos,

pregunta mi alma: ¿de quién,

de quién son estos olivos?

Jaén, levántate brava

sobre tus piedras lunares,

no vayas a ser esclava

con todos tus olivares.

Dentro de la claridad

del aceite y sus aromas,

indican tu libertad

la libertad de tus lomas.

Maintenant, vous pouvez vous aider des différents outils qui sont à votre disposition.

C’est fait ?

Assurons-nous que vous avez compris l’essentiel :

Le poète s’adresse aux travailleurs des oliveraies de Jaén pour les interroger : qui a fait pousser ces oliviers ? Ce ne fut pas le seigneur, qui vous exploite, mais vous, avec votre sueur.

Ici, il faut que je vous donne quelques éléments de contexte. Le poème fut écrit en 1937, alors que la guerre d’Espagne battait son plein. Le général Franco, aidé par Hitler et Mussolini, s’était soulevé contre le gouvernement légitime de la République espagnole.

Ce gouvernement avait lancé une timide réforme agraire qui devait soulager quelque peu la misère dans laquelle vivaient les travailleurs andalous de l’époque et rendre plus productives certaines exploitations1.

Il faut également que vous sachiez que la propriété agraire de Jaén était dominée par les latifundium (latifundios, en espagnol), de grandes propriétés exploitées de façon extensive. Cette situation remonte à la façon dont furent réparties les terres au fur et à mesure que les royaumes chrétiens s’étendaient au détriment des royaumes musulmans qui ont occupé pendant des siècles le sud de l’Espagne.

Dans ce contexte, la question que lance le poète aux travailleurs :

Andaluces de Jaén,

aceituneros altivos,

pregunta mi alma: ¿de quién,

de quién son estos olivos?

recherche à l’évidence cette réponse : les oliviers nous appartiennent !

Ce poème, vous l’avez compris, est un appel à la lutte et à la résistance : la terre appartient à ceux qui la travaillent, en vient-il à proclamer au moyen de questions rhétoriques.

Après la mort de Franco, avec l’arrivée de la démocratie, l’idée d’une réforme agraire en Andalousie surgit à nouveau. Je me rappelle, enfant, que ce poème, mis en musique, notamment par Paco Ibañez, était largement repris comme un appel à ce que soient corrigées les injustices sociales qui s’étaient perpétuées sous le régime franquiste.

Il n’y a pas eu de réforme agraire (pardonnez-moi, je vais vite, je simplifie, on pourra revenir sur la question si vous le souhaitez). A défaut, si l’on peut dire, le poème de Miguel Hernández devint… l’hymne officiel de la province de Jaén.

Voici le moment où, en présence de la famille du poète, se fait l’annonce :

Miguel Hernández est mort en 1942, dans une prison franquiste. Aurait-il été heureux de savoir que son poème était devenu l’hymne de la province de Jaén ? Ou, au contraire, aurait-il été peiné par le fait que le poème de lutte qu’il avait composé avait été récupéré (et rendu inoffensif) par un système politique qui n’avait pas rendu la terre à ceux qu’il considérait comme ses propriétaires légitimes, les travailleurs ?

A ce sujet, regardez cette version du poème par Manolo Escobar, artiste emblématique du tardofranquismo -la dernière époque du régime de Franco- : le poème de Miguel Hernández fut aussi récupéré par le show-biz.

Je voudrais aussi que vous écoutiez la version du poème qui est devenue l’hymne officiel de Jaen:

Je parie que la réaction première de Miguel Hernández aurait été plutôt la seconde (s’indigner de la récupération de son travail poétique). Cependant, il aurait fallu informer le poète que les travailleurs des oliveraies n’aspiraient plus majoritairement à recevoir de la terre. Ils voulaient plutôt un emploi bien payé :

A este punto de vista se añade el hecho de que el acceso a la propiedad de la tierra había dejado de ser la meta de la mayoría de los trabajadores, como se constató en una encuesta (Pérez Yruela, 1988): solo el 26 % de los obreros encuestados sobre sus preferencias de empleo eligió ser beneficiario de una explotación individual cedida por la Reforma Agraria, y un 16 % de una explotación llevada en cooperativa, prefiriendo el resto empleos fijos dentro o fuera del sector agrario.

nous dit José Manuel Naredo Pérez2

Les temps ont changé. Autrefois, la terre avait une position centrale dans l’économie, qu’elle n’a plus. Selon Naredo Pérez :

(…) la propiedad de los terrenos rústicos ya no es la clave de la desigualdad y la polarización social, aunque la propiedad y el disfrute de grandes mansiones y fincas sigan siendo signo de estatus social.3

Pensez-vous que Miguel Hernández, tenant compte de ses éléments, ait pu finalement se réjouir que son poème perdure dans les mémoires et garde vivant le souvenir des luttes passées des travailleurs andalous ?

Je vous propose d’écouter aussi le corrido de Juan sin tierra, qui évoque la lutte pour la terre au Mexique et dont cette strophe peut résumer l’histoire du poème de Miguel Hernández :

Mi padre fue peón de hacienda

Y yo un revolucionario

Mis hijos pusieron tienda

Y mi nieto es funcionario.

Maintenant, voici quelques propositions de travail :

  1. Enregistrez-vous en lisant (ou en chantant) le poème, en tout ou en partie.
  2. Apprenez par coeur tout ou, plus raisonnablement, quelques strophes du poème. Si l’ENT, n’accepte pas vos enregistrements, mettez-moi juste, dans exercices et évaluations, un mot me disant que vous avez lu le poème ou appris telle ou telle strophe.
  3. Miguel Hernández était très pauvre. Il a été arrêté au Portugal, dénoncé par un bijoutier auquel il essayait de vendre une montre, selon cet article. Il devait y rejoindre sa femme et son enfant pour partir en exile au Chili, grâce au poète Pablo Neruda, qui avait fait les démarches nécessaires. Voyagez dans le passé et avertissez Miguel Hernández pour qu’il n’essaye pas de vendre cette montre. (200 mots).
  4. Imaginez un dialogue entre le personnage qui chante le corrido mexicain Juan sin tierra et Miguel Hernández. Que se disent-ils au sujet de l’évolution de leurs idéaux révolutionnaires ? (200 mots).
  5. Étudiez l’impératif, qui est fort présent dans le poème : decidme, levántate, no vayas. Attention, ce dernier, no vayas, n’est pas vraiment un impératif : il s’agit d’un subjonctif. La défense (l’impératif négatif) s’exprime en espagnol à l’aide du subjonctif. De même, du reste, que l’impératif proprement dit, lorsqu’il concerne le vouvoiement (usted, ustedes). Dans ce cas, on fait aussi appel au subjonctif : no cante (ne chantez pas, monsieur, madame). De fait, le véritable impératif ne concerne que la deuxième personne, du singulier et du pluriel ( et vosotros). Dans le premier cas (), on prend le présent de l’indicatif et on enlève le -s : cantas donne canta, bebes, bebe, vives, vive. Dans le deuxième cas (vosotros), on prend l’infinitif, on enlève le -r et on ajoute un -d : cantar donne cantad, beber, bebed et vivir, vivid.
  6. Selon le professeur Naredo Pérez, la réforme agraire reste d’actualité, mais elle ne peut pas être celle que revendiquait Miguel Hernández : Pero, ¿es que no cabe hablar ya de reformas en la agricultura y en la propiedad de la tierra? Sin duda que cabe hacerlo, pero desde otros presupuestos y sin otorgarles ya ese carácter globalmente igualitario y liberador que impregnó originariamente la idea de reforma agraria, en sociedades eminentemente agrarias y en las que la tierra era con mucho el principal activo patrimonial.4 La réforme doit désormais viser la transition vers des systèmes agraires plus respectueux de l’environnement : para impulsar la transición hacia sistemas agrarios que se revelen más respetuosos del entorno y de la calidad de los productos que obtienen.5 De plus, étant donné que la valeur de la terre par rapport à d’autres actifs (à d’autres biens) a beaucoup baissé, il n’est plus possible de réduire sérieusement les inégalités sociales au seul moyen d’une réforme agraire. Écrivez une lettre au professeur Naredo Pérez pour lui demander de lire le poème de Miguel Hernández et de te dire comment il regarde ce poème quand il le met en rapport avec ses travaux universitaires6.
  7. Vous pourriez aussi demander à Francisco Casero, qui fut secrétaire général du SOC (Sindicato de Obreros del Campo) de lire Aceituneros au regard de ses années de lutte en défense des travailleurs agricole andalous. A l’époque de la timide réforme agraire dont nous parlions plus haut (en 1983), il écrivait ce que vous trouvez quelques lignes plus bas. Il exprimait le peu d’espoir qu’il plaçait dans la réforme lancée par le PSOE (parti socialiste, au pouvoir en Andalousie à l’époque et qui, quelques années à peine plus tard, allait abandonner sa propre réforme).

Por todo ello, conviene que pongamos las cosas en su sitio: aquí no va a haber ninguna reforma agraria real y verdadera. Por lo demás, tampoco lo esperábamos. Los jornaleros no estamos acostumbrados a ese tipo de regalos. Pero lo que sí nos interesa vivamente es el alcance de las medidas anunciadas, porque lo que sí desearíamos es que esta oportunidad se aprovechase para poner las bases de un proceso de reforma agraria, de un modelo de agricultura andaluza que permita a una buena parte de los andaluces trabajar y vivir dignamente en su tierra7.

  1. Je trouve que confronter différents acteurs historiques à un même objet artistique, un poème, en l’occurrence, est une façon intéressante de comprendre l’Histoire. Si vous voulez que je vous donne des noms de personnalités ayant été associées à la réforme agraire en Andalousie pour leur écrire, n’hésitez pas à me solliciter.

1Pour une lecture critique des sous-entendus de cette réforme, on peut lire Reforma agraria, entre el mito y la realidad socio-ecológica, José Manuel Naredo Pérez, dans La cuestión agraria en la historia de Andalucía, page 135, dont je vais citer quelques extraits par la suite.

2Ibid, page 149.

3Ibid, page 154.

4 Ibid, page 150.

5 Ibid, page 152.

6Tu pourrais lui proposer de lire aussi le poème de Luis Cernuda Un español habla de su tierra, dans lequel un exilé évoque l’Espagne qu’il a laissée après la victoire des franquistes. Je me suis souvent dit que si Cernuda revenait, il trouverait l’Espagne défigurée non pas tant par le régime franquiste, mais par l’urbanisation galopante et l’agriculture productiviste qui se sont tellement développées après et qui épuisent les nappes phréatiques et détruisent les sols. (Bien entendu, que la jeune démocratie espagnole ait été peu regardante en matière d’écologie n’exonère en rien le régime franquiste de ses crimes, dont le bilan est accablant).

Voici le poème :

Las playas, parameras

Al rubio sol durmiendo,

Los oteros, las vegas

En paz, a solas, lejos;

Los castillos, ermitas,

Cortijos y conventos,

La vida con la historia,

Tan dulces al recuerdo,

Ellos, los vencedores

Caínes sempiternos,

De todo me arrancaron.

Me dejan el destierro.

Una mano divina

Tu tierra alzó en mi cuerpo

Y allí la voz dispuso

Que hablase tu silencio.

Contigo solo estaba,

En ti sola creyendo;

Pensar tu nombre ahora

Envenena mis sueños.

Amargos son los días

De la vida, viviendo

Sólo una larga espera

A fuerza de recuerdos.

Un día, tú ya libre

De la mentira de ellos,

Me buscarás. Entonces

¿Qué ha de decir un muerto?

7Source : https://elpais.com/diario/1983/10/17/economia/435193202_850215.html

Cité par Naredo Pérez.