Cher Monsieur, cher Collègue
Je reviens vers vous suite au courrier que vous éditez.
Si vous me permettez, je vais essayer de vous répondre sur 1/ l’article du monde, 2/ le fond de votre critique, 3/ les enjeux de cet « échange »
1/ Une tribune dans le monde, journal notoirement opposé aux classes prépas depuis des années, notamment par le fait d’une de ses responsables éditoriaux en matière d’éducation, est un exercice de style, même si vous détestez ce dernier. On ne peut être trop technique, on ne peut être trop explicatif, on ne peut être trop long (l’inverse d’un blog). Il faut juste un message, et une forme de cohérence dans la pensée qu’il suggère. Le monde se moque de savoir si je suis fils d’ouvrier et de sténodactylo, si j’ai vécu en banlieue lyonnaise entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin, si j’ai enseigné en Zep en collège à Noisy le Sec et en zone de prévention violence en lycée technique à Aubervilliers, si je continue à faire de la formation d’enseignant dans l’académie de Créteil où aucun de mes collègues ne se sent méprisé, je vous l’assure. Le monde ne s’en soucie pas, pas plus que vous d’ailleurs qui cognez quoi qu’il arrive plutôt que de questionner a minima. Si une tribune de prof de prépa est éditée dans le monde, il faut qu’elle ait l’odeur, le goût, la couleur de ce que Le monde pense être un prof de prépa. Alors prenons le costume pour faire passer un message. Chaque média a ses exigences.
2/ Ce message, vous le détournez en l’interprétant comme une remise en cause personnelle. Pour vous, parce que je parle d’un lieu où l’enseignement fonctionne, cela suppose qu’ailleurs cela ne fonctionne pas. Quand quelqu’un vous dit qu’il a bien mangé chez lui, vous en déduisez immédiatement que vous ne savez pas faire la cuisine ? Plus sérieusement, les difficultés d’enseignement ne sont pas les mêmes de partout. Il est des zones où l’enseignement ressemble à un parcours du combattant. Il est tout aussi vrai que dans beaucoup d’endroits, les équipes arrivent à faire réussir les élèves. Nous héritons de ce travail en bout de chaîne (disons le dernier étage de l’ascenseur républicain) et l’on mesure parfaitement combien le chemin a été parsemé d’embûches pour ceux que nous envoient les collègues de lycée. Car il faut aussi être clair, ce sont les professeurs de lycées qui vantent aux jeunes l’intérêt de cette filière, et ce sont eux qui remplissent les dossiers de demande d’intégration.
Cependant, le fond de l’article n’est pas celui-là. Le sens de cette tribune est simple : que l’éducation nationale se serve de ce qui fonctionne plutôt que de le détruire pour aider ce qui ne fonctionne pas. Comme la plupart des articles que vous pouvez lire dans la presse, celui-ci ne vous était pas personnellement destiné et ne remet en aucune manière en cause vos talents ou ceux des autres professeurs. Au contraire, elle invite le ministre à s’appuyer sur les professeurs qui se reconnaissent, comme vous le suggérez concernant vos pratiques, dans l’exigence de nos métiers, et je pense qu’ils sont légion, ce que méconnaît notre ministre. Ajoutons que face au flot d’insultes et de frustrations que génère ce sujet, je voulais exprimer l’abnégation et le sens du devoir de la plupart de mes collègues, avec un texte, vous en conviendrez, plutôt modéré. Ce texte n’arrive qu’après des pages d’attaques, injustes, exagérées, blessantes, inutiles, contre les professeurs que nous sommes (la dernière en date étant contre les agrégés par F. Garçon). Dans le même temps, l’article suggère des négociations sur un statut, parce que même si nous nous valons, la réponse éducative est toujours dans la différenciation et non dans la folie de l’uniformisation. Cela vaut pour les élèves comme pour les professeurs.
Je passe le style extrêmement méprisant de votre lettre ouverte ainsi que sur la tentative de déstabilisation en la faisant parvenir à mon autorité hiérarchique. Disons que lorsqu’on s’expose pour défendre une cause, on s’expose à tout et tous (du moins aujourd’hui). Si vous voulez des éléments précis, discutons de points précis. Sur la question de l’ascenseur républicain, les statistiques du ministère montrent que l’essentiel de l’évaporation des enfants issus des catégories modestes se fait à l’école primaire et au collège. Le lycée général et la terminale « S » terminent l’opération d’écrémage. Lorsque les « miraculés » arrivent en classes préparatoires, ils obtiennent un taux de réussite et de maintien dans les études stable, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de filières de premier cycle d’enseignement supérieur. Concernant la notation, tous les rapports des IPR et les remontés des collègues des jurys du bac se plaignent de devoir systématiquement gonfler les notes pour assurer un taux de réussite record ou s’assurer la paix sociale dans des classes difficiles à tenir. Comment et quoi évaluer au 21è siècle ? En prépa comme dans certains concours, on peut utiliser l’éventail de 0 à 20. Peut-être est-ce un archaïsme, peut être une chance, mais il est clair que peu de structures de formation peuvent disposer d’une note à la fois d’évaluation, de classement, de sélection mais aussi de possibilité de progression. Peut-être pourrons-nous discuter sereinement de cela.
3/ Drapé dans votre indignation, exigeant des excuses à l’Ecole de la République (rien que ça !), vous ne voyez pas que grâce à notre ministre, deux professeurs du même âge, du même corps, avec, semble-t-il le même engagement et la même foi dans leur métier d’enseignant, en arrivent à se balancer des courriers injurieux. Merci Monsieur Peillon et bravo ! Prépas contre fac ou lycée, lycée contre collège et collège contre école primaire, agrégés contre certifiés, certifiés contre PLP, PEGC contre professeurs des écoles et PE contre instit etc. C’est cette zizanie qui amène à déformer les propos et exacerber les frustrations. Cher Monsieur, vous méritez sans doute les honneurs de l’institution, des élèves et le salaire qui va avec. Ne pensez pas qu’en défendant notre spécificité on justifie une supériorité quelconque. Je ne crois pas non plus qu’on mérite vos insultes sur nos personnes, ou notre intégrité. Je pense enfin et surtout qu’il faut que les parcours soient diversifiés à l’extrême pour permettre à chacun de réussir.
Pour terminer, je voudrais vous présenter des excuses, pour avoir heurté votre conscience professionnelle, bien que ni le texte, ni ses présupposés n’allaient dans ce sens. Parce qu’on tire à boulet rouge sur notre métier alors que nous sommes d’ordinaire discrets, le simple fait de dire qui nous sommes est perçu comme une agression. Je n’aurais pas la démesure de présenter des excuses à l’école républicaine dont je ne suis qu’un rouage.
Vous pourrez ajouter (ou pas) cette réponse à votre lettre ouverte.
C. ALLMANG