Cher Monsieur,
Je viens de saisir1 monsieur le directeur du Mémorial de la Shoah au sujet de vos déclarations sur France Culture dans lesquelles vous affirmiez que, dans les familles arabes, on tète l’antisémitisme avec le lait de sa mère. Je l’ai saisi en tant qu’enseignant, car, après avoir vu une admirable exposition sur la Shoah conçue par le Mémorial, je m’étais dit qu’il serait intéressant que mon établissement reçoive cette exposition. Mais pouvais-je oeuvrer en ce sens alors que l’un des collaborateurs les plus éminents du Mémorial de la Shoah avait tenu des propos contraires aux valeurs de la République et injurieux à l’égard d’une partie de mes élèves ? J’ai considéré que je pourrais légitimement continuer à travailler à la venue de l’exposition dans mon lycée si j’interpellais le directeur de votre institution sur le problème et que je portais cette interpellation et l’éventuelle réponse qui y serait faite à la connaissance de nos élèves.
Le lendemain, je vous ai écouté dans plusieurs émissions, sur France Culture et sur France Inter. J’ai reconnu dans vos analyses des préoccupations qui sont les miennes. J’ai trouvé que sur la concurrence des mémoires, vous aviez des mots à la fois sereins et justes. Vous avez mis en rapport cette concurrence des mémoires avec la dérive qu’il y a à faire de la mémoire de la Shoah une forme de catéchisme. Je me suis reconnu dans ces problématiques, que j’avais eu l’occasion d’aborder dans un échange avec le professeur Dilhac2, du Centre de recherche en éthique de l’université de Montréal, et dans une lettre adressée à monsieur Saurel3, ancien déporté qui avait honoré de son témoignage mon lycée.
Monsieur Bensoussan, je vous ai écrit mardi. La veille, dans le cadre du bac blanc, mes élèves de terminale STMG étaiaient passés, un par un, devant moi. Cinq minutes d’expression en continu. Cinq minutes d’échange avec l’enseignant. Beaucoup d’élèves d’origine maghrébine. Tous antisémites ?
S, capable, mais peu travailleur, avait eu un incident avant les vacances avec un collègue. Après l’épreuve, j’ai un peu parlé avec lui. S’estimant victime d’une injustice de la part du collègue, il avait réagi avec virulence et avait employé à son égard un tutoiement méprisant. Pour L, rien à dire : c’était excellent, comme d’habitude. B avait mal lu la convocation et n’était pas là. Appellée sur son portable par D (D, qui fait des fautes partout, est souriant et travaille un peu de temps en temps), elle est arrivée toute essoufflée. Elle me demande de passer un autre jour. Je lui explique que ce n’est pas possible, qu’elle a reçu sa convocation en temps et en heure et qu’elle doit passer maintenant.
Tous antisémites par le lait de leur mère ? J’ai réagi avec incrédulité quand monsieur Trump a qualifié les immigrants mexicains de violeurs. Lorsque j’ai fait le lien entre l’exposition que je voulais faire venir dans mon lycée et vos propos, j’ai éprouvé une peine immense. J’ai eu l’impression que tout s’effondrait.
Monsieur Bensoussan, je pense que l’on peut sortir par le haut de cette situation. Comme nos élèves parfois, vous avez tenu des propos inacceptables. Mais je suis convaincu que vous pouvez aussi reconnaître vos erreurs. Venez dans ma classe, monsieur Bensoussan, et parlez avec mes élèves. Excusez-vous de les avoir insultés et parlons ensemble. Essayons de faire vivre les valeurs de la République.
Je vous prie d’agréer, monsieur Bensoussan, l’expression de mes salutations respectueuses.
Sebastián Nowenstein,
professeur agrégé
1http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2017/03/01/declarations-de-monsieur-bensoussan-lettre-au-directeur-du-memorial-de-la-shoah/
2http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2016/11/27/au-sujet-de-lantisemitisme-echange-avec-le-professeur-dilhac/
3http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2016/11/27/lettre-a-jacques-saurel-ancien-deporte/