Lettre à mes amis chrétiens,
À Bruxelles, le mardi 26 décembre 2018.
Chers amis,
Je suis athée. Vous le saviez, ou vous vous en doutiez fort. Cela ne vous empêche pas de m’honorer de votre amitié. De mon côté, je vous tiens pour des amis très chers. Beaucoup de choses nous rapprochent et nos positions philosophiques ne nous séparent pas. Je me sens pleinement votre ami.
Je viens à l’instant de lire un article du Monde dans lequel le journal rend compte de l’accueil que des chrétiens réservent à des migrants. Pour ces chrétiens, leur foi et l’accueil de l’étranger en détresse son liés. Je crois que tel est le cas pour vous aussi, mes amis. Parfois, jusqu’à l’épuisement. Repose-toi, t’ai-je dit, L : tes traits tendus me préoccupaient. Tes nuits sont écourtées, tu accueilles tant de gens chez toi, leur détresse te bouleverse. Tu continues pourtant d’assumer tes missions d’enseignante de la République, comme on dit, tout en t’occupant de tes garçons.
Je me rappelle aujourd’hui que, alors que, par une note du 3 août 1955, le ministre de la justice de l’époque, Robert Schuman1 organisait l’invisibilité judiciaire des atteintes aux droits de l’homme commises en Algérie par les forces françaises, alors donc que la République sombrait dans l’indignité et se reniait, certains militaires puisaient dans leur foi catholique la force de s’opposer aux tortures et aux assassinats2. Ces militaires ont défendu la République contre elle-même ; ils ont défendu ses valeurs contre l’État qui les bafouait. Leur foi les a accompagnés lorsqu’ils ont résisté.
Chers amis, vous êtes sans doute étonnés que je vous associe dans mes pensées à ces militaires. Je le suis aussi, pour tout vous dire. C’est que rien n’est jamais simple. Robert Schuman, quant à lui, était un catholique fervent. Il fait aujourd’hui l’objet d’un procès en béatification et est à ce titre Serviteur de Dieu.
Nichée au plus profond de votre spiritualité, confondue avec elle en une manière que je ne saurais ni ne voudrais, par respect pour ce que vous êtes, disséquer ou distinguer, vit une force qui, contre les reniements et les compromissions, vous aide à poursuivre votre chemin fraternel. Ce chemin que vous empruntez vous rend à mes yeux admirables et, surtout, si importants et nécessaires. Par vos actes, vous aidez vos frères humains, mais vous éveillez aussi nos consciences.
Chers amis, je vous salue.
Sebastián.
1« Autre découverte de Claire Mauss-Copeaux : un texte du 3 août 1955, signé par le même général Koenig, mais aussi par le ministre de la justice, Robert Schuman. Il précise la conduite à tenir en cas de plaintes faisant suite à « de prétendues infractions » attribuées aux forces de l’ordre : « une action supprimant la responsabilité pénale de ses auteurs (…) [sera suivie] d’un refus d’informer ( ...) Les plaintes devront faire l’objet d’un classement sans suite, dès lors qu’il apparaîtra incontestable que ces faits sont justifiés par les circonstances, la nécessité, ou l’ordre de la loi. » En d’autres termes, le pouvoir civil assurait d’avance aux militaires l’impunité pour les dépassements qu’il exigeait d’eux. Et cela, deux ans avant la « bataille d’Alger », supposée avoir constitué le tournant en matière d’exactions ». Source : https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/12/03/des-historiens-soulignent-l-emploi-systematique-de-la-torture-par-l-armee-francaise-en-algerie_3715107_1819218.html
2 Davantage sur la question chez Raphaëlle Branche : La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962)