À Lille, le dimanche 7 avril 2019.
Madame/Monsieur la députée/le député,
Je suis enseignant dans le secondaire et je travaille en ce moment sur les aides d’État dont bénéficient certains producteurs espagnols de fraises. Ces aides, qui semblent avoir échappé à la vigilance de la Commission européenne, sont de nature à créer une concurrence déloyale pour les producteurs français de ce fruit.
L’article 119 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que la politique économique de l’UE sera conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. :
1. Aux fins énoncées à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, l’action des États membres et de l’Union comporte, dans les conditions prévues par les traités, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
L’article 107 dudit Traité énonce :
1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
Or, certains producteurs espagnols disposent gratuitement d’eau qu’ils prélèvent illégalement à proximité du parc naturel de Doñana. La Commission européenne, constatant que
(…) de grandes quantités d’eau sont détournées à la fois pour l’agriculture et pour les besoins des touristes locaux, ce qui entraîne un effondrement du niveau de la nappe,
a assigné l’État espagnol devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour non-protection des zones humides de Doñana1.
Les grandes quantités d’eau évoquées par le communiqué de la Commission sont prélevées au moyen de puits illégaux et les exploitants qui les creusent utilisent gratuitement l’eau qu’ils en extraient.
De plus, une partie non négligeable des terres qui accueillent les cultures sont des terres non agricoles et, par conséquent, l’activité agricole qui s’y déroule est illégale.
Cette situation, dont le caractère délictuel ne devrait pas offrir de doute2, dure dans le temps3, ce qui rend plausible l’existence d’une volonté politique dans le chef de l’État espagnol de favoriser ses producteurs nationaux en tolérant que ces derniers s’approprient gratuitement des ressources telles que l’eau.
Dans ces circonstances, il est raisonnable de penser que le producteur français ou européen qui respecte la législation fait face à une concurrence déloyale lorsqu’il affronte des producteurs qui disposent gratuitement de la ressource publique qu’est l’eau ou qui produisent sur des terres non-agricoles dont le prix doit être présumé moindre que le prix des terres agricoles.
De surcroît, on peut s’interroger sur l’existence possible d’un délit de recel au sens des articles 321-1 et suivants du code pénal si, comme on ne saurait l’exclure, des entreprises françaises commercialisent des fraises dont la production résulte d’un acte illégal tout en ayant connaissance de ce fait.
Madame/Monsieur la députée/le député, auriez-vous l’obligeance de répondre aux questions ci-après ? Je prépare un dossier sur la question à l’intention de mes élèves et des collègues qui, en France ou, plus largement, au sein de l’Union européenne, pourraient désirer aborder la question.
- Aviez-vous connaissance de la problématique exposée par ce courrier avant de le recevoir ?
- Avez-vous, de quelque façon que ce soit, agi en tant que parlementaire sur la question ?
- Prévoyez-vous d’agir en quelque façon que ce soit sur la question soulevée ici ?
- Dans l’affirmative, comment prévoyez-vous d’agir ?
Au-delà de la question précise qui est posée ici, on cherchera à montrer, de façon générale, en quoi consiste le travail d’un député.
J’écris aussi à des députés européens d’autres nationalités et à des eurodéputés. Les réponses obtenues permettront, par la suite, de mettre en regard le travail de parlementaires dans différents systèmes politiques.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, monsieur le député, l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein,
professeur agrégé.
http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2019/04/10/donana-une-synthese/
2Je note que la DIRECTIVE 2008/99/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal dispose en son article 3 que les États membres font en sorte que tout acte causant une dégradation importante d’un habitat au sein d’un site protégé constitue une infraction pénale. Je note aussi que cette directive a été transposée en droit espagnol (Ley Orgánica 5/2010, de 22 de junio) et qu’elle n’a pas nécessité de transposition en droit français : La présente directive ne nécessite pas de transposition (commentaire : « Les autorités françaises estiment que les mesures nationales d’exécution ne sont pas nécessaires, le droit interne étant déjà conforme à la directive »). Je note aussi qu’en son article 6, §2, la même directive indique : Les États membres font en sorte que les personnes morales puissent être tenues pour responsables lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle de la part d’une personne visée au paragraphe 1 a rendu possible la commission d’une infraction visée aux articles 3 et 4 pour le compte de la personne morale par une personne soumise à son autorité.
3Voir, par exemple : El epicentro del saqueo sin castigo del agua de Doñana, El País, le 10 février 2019.