Peut-on se prévaloir d’un avis scientifique et agir en contradiction flagrante avec ce qu’il préconise ? Le ministre Blanquer y parvient. Il n’excipe de l’Avis n° 6 du Conseil scientifique Covid-19 que pour mieux en ignorer la préconisation la plus importante : les écoles ne doivent pas ouvrir avant septembre. Notre courrier au ministre.
A V, s/c du chef d’établissement
Monsieur le Ministre,
- Le président Macron a affirmé non sans solennité :
Un principe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis le début pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurs semaines et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent. Les plus grands spécialistes européens se sont exprimés ce matin dans une publication importante. J’ai réuni aujourd’hui, avec le Premier ministre et le ministre de la Santé, notre comité scientifique de suivi. Nous avons en France les meilleurs virologues, les meilleurs épidémiologistes, des spécialistes de grand renom, des cliniciens aussi, des gens qui sont sur le terrain et que nous avons écouté, comme nous le faisons depuis le premier jour. Tous nous ont dit que malgré nos efforts pour le freiner, le virus continue de se propager et est en train de s’accélérer. Nous le savions, nous le redoutions.1
- Pour sa part, le conseil scientifique Covid-19 conclut dans son rapport du 20 avril 2020 :
En conséquence, le conseil scientifique propose de maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre.2
- Vous venez d’écrire, monsieur le Ministre :
Avec cette note du Conseil scientifique, nous avons la base pour l’élaboration du protocole sanitaire annoncé pour donner un cadre sûr au déconfinement scolaire. Ce protocole national sera la référence de tous les acteurs pour la préparation de rentrée:3
- Pourtant, en même temps, l’ouverture progressive des écoles pour le 11 mai est maintenue4. Aurait-on décidé, sans le dire, de ne plus écouter ceux qui savent ?
- Le respect des exigences de l’argumentation loyale et rationnelle est au cœur de nos missions. N’est-il pas incohérent, absurde ou sournois de se prévaloir d’un avis scientifique et d’agir en contradiction avec ce qu’il préconise ? Comment faudra-t-il que nous répondions aux inquiétudes des élèves et de leurs familles qui ne manqueront pas, bien légitimement, de relever ce qui, prima facie à tout le moins, revêt l’apparence d’une contradiction flagrante entre ce que l’on dit et ce que l’on fait5 ?
- La Cour de Cassation écrit :
Moralement la motivation est censée garantir de l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte.6
- Bien entendu, l’intégrité intellectuelle ne s’impose ni aux déclarations de l’homme politique que vous êtes, ni à l’État, que nous servons, puisque l’un et l’autre peuvent s’en écarter sans craindre la sanction des tribunaux7. Cependant, à notre estime, le recours à des procédés argumentatifs déloyaux au plus haut niveau de l’État ne peut que compliquer la transmission par l’École de vertus civiques fondamentales et affaiblir la confiance du futur citoyen dans le débat démocratique.
- Nous estimons qu’il n’y a rien d’anormal dans le fait que, dans une société démocratique, un gouvernement s’écarte d’un avis donné par un collège de scientifiques. Ce que nous n’acceptons pas, c’est que vous proclamiez que vous suivez un avis dont vous vous écartez. En procédant de la sorte vous portez atteinte à la crédibilité de notre institution et vous nous fragilisez dans nos missions.
Nous vous prions d’agréer, monsieur le ministre, à l’expression de notre attachement au service public d’éducation. Sebastián Nowenstein,pour la liste d’Union
1Nous soulignons. Voir Adresse aux Français, E. Macron, 12 mars 2020.
2 Voir Avis n°6 du Conseil scientifique COVID-1920 avril 2020. SORTIE PROGRESSIVE DE CONFINEMENT PREREQUIS ET MESURES PHARES
3Voir tweet du 25 avr. 2020, 9:53 PM.
4Voir, par exemple Le conseil scientifique jette le trouble sur la réouverture des écoles.
5Il ne vous a pas échappé que le président du conseil national de l’ordre des médecins a dénoncé, dans un entretien au Figaro, le «manque absolu de logique » que constituerait, à ses yeux, la réouverture des écoles le 11 mai.
6Voir Rapport 2010 de la Cour de Cassation. Le droit de savoir.
7Sur l’absence d’obligation juridique de cohérence pour la part de l’État, on peut lire le professeur Troper : « Sans doute le législateur est-il tenu à une obligation de cohérence, mais cette obligation n’est pas juridique, elle est seulement morale. » La loi Gayssot et la constitution.