Face à un homme disposant de 6000 ogives nucléaires et susceptible de les utiliser il faut garder son sang-froid et choisir la stratégie qui le met dans la configuration qui lui est la moins favorable sans exposer l’humanité au danger de l’anéantissement.
Voici un scénario dont il faut espérer qu’il ne se transformera pas en réalité, mais qu’il est nécessaire de considérer.
Dans ce scénario, on pose que Poutine agit en être rationnel, dépourvu de scrupules moraux et mu par le désir de restaurer l’empire russe. On pose aussi que l’appareil russe ne déposera pas Poutine par un putsch et que le président russe gardera dans un futur prévisible le contrôle de son armée. Ce scénario débute dans quelques jours ou semaines. Le voici :
Devant la difficulté de vaincre la résistance ukrainienne par des moyens conventionnels, Poutine brandira la menace des armes nucléaires tactiques.
Au besoin, il fera exploser une bombe quelque part en Ukraine pour qu’on le prenne au sérieux.
Les Ukrainiens devront, alors, se rendre.
Poutine expliquera à la Russie et au monde que sa fermeté et sa détermination ont permis de sauver beaucoup de vies, celles des soldats russes en particulier, qui se battaient contre un ennemi surarmé par les pays les plus riches du monde. Il citera le précédent du bombardement américain du Japon, qui a sauvé tant de boys. L’ambassade russe aux États-Unis fournira aux porte-paroles des autres ambassades, qui nient aujourd’hui que la Russie soit en train de bombarder l’Ukraine (voir ici, par exemple, le porte-parole Makogonov, minute 3.20), des déclarations de responsables américains qui, tout au long de l’histoire, ont défendu la nécessité de Hiroshima et Nagasaki.
Une fois l’Ukraine soumise, Poutine agira de même face aux pays baltes en faisant le calcul que les Américains ne déclencheront pas la troisième guerre mondiale pour sauver Vilnius.
Dans ce scénario du pire, Poutine, se dit que ce calcul est dangereux, mais pas absurde du tout. Il sait qu’aux États-Unis on évoque la possibilité de conclure un « dirty compromise » qui accorderait certains gains territoriaux à la Russie. Il sait, aussi, que, pour beaucoup d’Occidentaux, il serait totalement irrationnel et immoral de détruire l’Humanité pour empêcher la prise de Vilnius par l’armée russe.
Poutine se dit que nous sommes dans une impasse, que nous ne pouvons pas être crédibles si nous nous revendiquons de valeurs morales humanistes tout en affirmant être prêts à provoquer l’anéantissement de l’Humanité en leur défense.
Poutine sait que nous ne voulons pas assumer cette impasse, que nous cherchons à éviter d’y être confrontés, mais il sait aussi que notre volonté de l’éviter ne la fera pas disparaître.
Dans ce scénario, une guerre meurtrière en Ukraine, à l’instar de celles menées en Syrie et en Tchétchénie, est nécessaire pour épuiser le peuple et pour supprimer sa volonté de résister. Au contraire, une occupation rapide et sans carnage, aurait créé la situation que Poutine redoute le plus : une population qui, massivement, affronte sans armes les soldats et des villes qui, déjà occupées, ne peuvent pas être bombardées.
Dans ce scénario, on peine à l’écrire, la résistance armée et héroïque des Ukrainiens sert le plan de Poutine. A terme les massacres par lesquels il y répond, escompte-t-il, produiront des divisions entre ceux qui veulent vivre et ceux qui sont prêts à mourir dans un combat qui deviendra de plus en plus désespéré et qui visera moins à préserver l’indépendance immédiate de l’Ukraine qu’à mourir pour nourrir des combats futurs. On parie que le président Zelensky se demande chaque jour s’il faut laisser se poursuivre les massacres que l’armée russe inflige à son peuple.
Lorsque l’on examine ce scénario, on arrive à la conclusion que la réponse à un homme qui a le pouvoir d’anéantir l’Humanité et dont il n’est pas certain qu’il en serait empêché par ses scrupules moraux ou par des gens qui auraient la capacité de le faire ne peut pas être purement militaire. Il est contre-productif d’entrer dans une logique de dissuasion avec lui parce qu’il sait que nous savons qu’il est plus fou que nous, parce qu’il sait que nous ne voulons pas voir nos enfants mourir alors que pour lui un tel risque est envisageable au regard de ce qu’il estime être la défense de la Russie éternelle.
Face à un homme tel que Poutine, il faut garder son sang froid et il faut envisager de le laisser s’étendre pour mieux l’attaquer depuis l’intérieur, une fois qu’il est affaibli par une expansion qu’il ne peut pas maîtriser. Il faut préserver des forces pour l’affronter dans la configuration qui lui est la moins favorable. Examiner la possibilité d’une telle stratégie est aujourd’hui difficile. Je suis certain que ce texte, s’il est lu, sera considéré comme une preuve de la lâcheté de son auteur.
Dans ce scénario, l’envoi d’armes en Ukraine était une erreur. Il l’était parce qu’il ne permettait pas d’arrêter la guerre, parce qu’il ne permettait pas de diminuer le nombre de victimes et parce qu’il ne garantissait pas l’indépendance de l’Ukraine. De fait, ce que ces envois d’armes ont facilité, c’est, certes, une résistance héroïque des Ukrainiens, mais aussi une surenchère barbare des Russes, dont témoigne, au moment où j’écris ces lignes, les bombes qui s’abattent sur Marioupol.
Comment résister à un homme susceptible d’utiliser l’arme nucléaire ?
PS : Au vu de l’évolution de la situation, une variation de ce scénario pourrait voir Poutine garder la main-mise sur le Donbass tout en bombardant à distance les villes qui lui résistent. L’Ukraine ne se rend pas, mais la vie y devient impossible. Une autre variation implique le recours par l’armée russe aux armes chimiques au lieu d’armes nucléaires. Le problème, me semble-t-il, réside dans l’impossibilité de faire cesser l’agression russe dès lors que, à juste titre, on s’interdit d’entrer militairement en Russie. On peut admirer la résistance ukrainienne et craindre en même temps qu’elle ne se traduise par la destruction du pays et l’exil de sa population, expulsée par les bombardements sans fin.