Archiv’Im est un atelier d’écriture qui prend les archives comme point de départ des fictions que créent ses membres.
Commençons par quelques exemples sur lesquels nous travaillons en ce moment :
Un évènement, des regards, l’incendie de l’ambassade d’Espagne au Guatemala.
Le 31 janvier de 1980, l’ambassade d’Espagne au Guatemala brûlait. 37 personnes y ont trouvé la mort. Ainsi que l’a reconnu le gouvernement guatémaltèque en 1984, cet incendie fut provoqué par les forces de police du pays, qui prirent d’assaut l’ambassade. Blessé, l’ambassadeur espagnol réussit à arriver à un hôpital privé dont il dut s’échapper pour trouver finalement refuge dans la résidence de l’ambassadeur des États-Unis.
Cet événement a laissé des traces dans les archives diplomatiques. Notre dossier contient des documents en anglais, français et espagnol qui en sont issus.
Nos participants reconstruisent les événements et imaginent des fictions qui s’en inspirent.
Un document, des histoires. Le général Destremau, un ambassadeur trop proche de la dictature argentine ?
Le général Destemau a été l’ambassadeur de France en Argentine alors que les disparitions d’opposants ou de simples suspects battaient leur plein. Au moment de quitter ses fonctions, l’ambassadeur fait une synthèse de sa mission. Dans le document, disponible aux archives du ministère des affaires étrangères, l’ambassadeur adopte un discours qui ne paraît guère éloigné de celui que tenait la Junte militaire au pouvoir.
Des années plus tard, l’un de nos membres allait se heurter au refus opposé par un autre général Destremau, le neveu du premier, à une demande de transmission de documents qu’il avait formulée.
Un autre ambassadeur de France en Argentine a attiré notre attention car il espionna de Gaulle pour le compte des services des États-Unis, nous dit France Inter.
Nos participants s’inspirent librement de ces documents pour écrire des fictions. On se demandera ce que le Quay d’Orsay fait de notes telles que celles de Destremau, si idéologisées, biaisées, mal fondées. On s’interrogera sur les processus qui ont pu conduire un ambassadeur à exonérer de ses crimes le régime argentin, un autre à espionner son pays pour une puissance étrangère. On réfléchira aux passerelles qui existent entre armée et diplomatie.
Répondons maintenant à quelques questions et remarques.
Qui nourrit les dossiers ?
Les participants aux ateliers Archiv’Im se trouvent en France, en Espagne, en Amérique Latine, aux États-Unis… Chacun participe de son mieux en se rendant dans les archives de son pays et en mettant les documents qu’il trouve à la disposition de la communauté.
Pourquoi des fictions ?
Pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que nous pensons que l’une des meilleures façons de réfléchir sur un évènement ou sur une problématique est de faire appel à une compétence universelle de l’être humain : celle qui lui permet de raconter, de narrer et d’inventer.
Ensuite, parce qu’un réseau de fictions ourdi autour d’un fait protège ce dernier de l’oubli. Qui a connaissance aujourd’hui de la note de Destremau à part celui qui, pour nous, l’a dénichée aux archives du Quai d’Orsay ? Demain, cette note sera publiée et les participants de l’atelier se pencheront sur elle en essayant d’imaginer l’Argentine et la France de la fin des années 70.
Les archives sont celles des vainqueurs…
Votre remarque, juste, appelle une question : Comment faire pour que ce qui perdure ne soit pas seulement ce qui émane des archives des vainqueurs ?
Deux réponses :
D’abord, on trouve souvent, dans les archives des vainqueurs, comme vous dites, de vraies informations.
Ensuite, ce que nous voulons faire, justement, c’est constituer des archives qui ne soient pas celles des vainqueurs, des archives populaires, pour ainsi dire, qui puissent fonctionner sans l’État que, bien souvent, les puissants mettent à leur service.
Comment, dites-vous ?
Par la fiction. Nous n’avons pas des bâtiments, nous n’avons pas des employés qui classent, archivent et, parfois, détruisent les documents. Nos bâtiments seront nos histoires. Nos fictions permettront de retrouver le passé factuel : bien souvent, le problème de l’historien, c’est de savoir où chercher ; nos histoires sont des moyens de pointer vers des faits qui ne doivent pas être oubliés.
Il faut des années, 25, 50…, pour que l’on puisse avoir accès aux archives. Entre-temps, les témoins meurent, leurs noms sont oubliés. Nos ateliers doivent garder vivante la mémoire pour qu’un jour elle devienne Histoire.
Notre travail doit nous projeter vers le passé, mais aussi vers l’avenir. Archiv’Im s’articule avec Talleres internacionales de escritura (TIE), qui invente les fictions du présent.
Nous ne pouvons pas, cela est vrai, remonter le cours du temps. Mais nous pouvons explorer le passé avec les outils de la fiction pour faire dire aux archives ce qu’elles veulent taire, pour aller chercher les voix, tant qu’on les entend encore, de celles et ceux que les archives n’entendent pas.
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