À Bruxelles, le 18 février 2023
Bonjour madame,
J’ai lu votre livre La démocratie et la raison : Actualité de John Rawls peu après sa parution. Je l’ai profusément annoté et j’ai formé alors le projet de vous écrire. Pris par d’autres occupations, je ne l’ai pas fait. Aujourd’hui, je profite de mes vacances pour me permettre de vous soumettre une question sur laquelle je prévois de travailler avec mes étudiants : celle du off en politique, celle du recours croissant au off en politique que l’enquête fouillée que Le Monde a consacrée au sujet en décembre 2022 met en évidence et que la polémique récente du déjeuner du président est venue illustrer.
Le président a-t-il dit ou n’a-t-il pas dit qu’il ne croyait pas à la victoire de l’irresponsabilité ? (sur cette déclaration, voir ici, par exemple)
Le président a-t-il dit ou n’a-t-il pas dit qu’il ne croyait pas au hasard ? (voir ici)
La presse prête des propos au président que celui-ci (ou son entourage) dément ou ne confirme pas. La presse prête des propos à des conseillers, à des proches, à l’Élysée. La presse a recours au discours indirect libre qui permet d’obvier l’instance énonciative.
Que nous dit la pensée de Rawls sur une parole politique qui ne s’assume pas ? Que nous dit-elle d’un Pouvoir qui impose que les journalistes qui recueillent sa parole la présentent en la détachant de celui qui l’émet ? Que doit faire le citoyen d’une parole susceptible à tout instant d’être désavouée et dont on sait seulement qu’elle émane, si elle est vraie, du Pouvoir ? Quid du journaliste et de sa crédibilité ?
Quelle réponse donnez-vous à ces questions après avoir tant travaillé sur Rawls ?
Je voudrais tenter de substituer à la polémique du déjeuner du président une délibération rationnelle et la donner à voir à mes étudiants. Je veux croire que le fait de s’adresser à un public d’étudiants dans une démarche organisée par un enseignant favorisera l’émergence d’une délibération rationnelle.
J’ai transmis un certain nombre de questions à des journalistes, à des chercheurs, à des syndicats. Je leur demande d’en prendre connaissance et de s’en servir comme d’un point de départ à des commentaires destinés à mes étudiants. Accepteriez-vous de répondre à celles qui vous paraîtraient pertinentes au regard de vos travaux et de la pensée de Rawls ? Accepteriez-vous de dialoguer avec mes étudiants ?
Je vous écris publiquement parce que je souhaite inscrire ma démarche dans l’espace public de discussion que créent vos travaux.
Bien cordialement,
Sebastian Nowenstein, professeur agrégé