Mémoire en réplique.
I. Rappel des faits et de la procédure.
Le rappel des faits et de la procédure effectué par l’administration est exact. Je précise toutefois que, dans la demande transmise à l’administration, je sollicitais aussi que me soient communiqués tous les courriers qui ont accompagné la transmission du rapport McKinsey à toute personne ou institution auxquelles tant le ministre de la Recherche que celui de l’Éducation ont communiqué ledit rapport. J’ajoute également que le contrat conclu entre le ministère de l’Éducation Nationale et le cabinet McKinsey, faisait partie de ma demande.
Dans son avis, la CADA a omis de se prononcer sur ces deux points, ce qui m’a conduit à les exclure de la requête que j’ai introduite devant le votre tribunal.
Je rappelle également que l’administration n’a pas estimé nécessaire de répondre à la CADA pour faire valoir ses observations et que le rapport qu’elle m’a transmis ne le fut qu’un an après la présentation de ma demande.
II. Discussion
Je partage la position du point A de l’administration. Je confirme avoir reçu le rapport. Sur ce point, donc, ma demande est devenue sans objet.
Malheureusement, je ne puis partager la suite de l’analyse de l’administration.
J’observe, en premier lieu, que l’administration entend se prévaloir de sa propre faute dans sa défense.
L’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dispose : Lorsqu’une administration mentionnée à l’article L. 300-2 est saisie d’une demande de communication portant sur un document administratif qu’elle ne détient pas mais qui est détenu par une autre administration mentionnée au même article, elle la transmet à cette dernière et en avise l’intéressé.
L’administration connaît bien l’article L. 311-2. Madame T, qui signe le mémoire en défense auquel je réponds par le présent mémoire, m’écrivait le 16 février 2022 au sujet d’une autre demande :
Bonjour Monsieur,
Je vous informe que le ministère ne détient pas ce document.
Aussi, conformément aux dispositions du 6ème alinéa de l’article L 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration, votre demande a été transmise à l’INRIA. »
Mail de madame T Mercredi, Février 16, 2022 10h07 CET person TT T@education.gouv.fr
L’administration semble s’être abstenue de transmettre ma demande au ministère de la transformation publique. Et, si elle l’a fait, elle a omis de m’en informer.
L’administration a donc méconnu les obligations que lui crée l’article L311-2 du Code des relations entre le public et l’administration. Plus de deux ans après ma demande, l’administration se prévaut de sa propre faute dans sa défense. Ce moyen doit, à l’évidence, être écarté.
L’administration estime ma demande trop imprécise. Rappelons-la :
- Le rapport remis par le cabinet McKinsey au Ministère de l’Éducation Nationale,
- Tout document portant sur la réorientation des travaux du cabinet McKinsey mentionnée dans son audition devant la commission sénatoriale d’enquête par la ministre de
Montchalin, en particulier les avenants au contrat qui ont permis de modifier ce dernier. - Tout document portant sur la transmission des travaux commandés au cabinet McKinsey aux auteurs du rapport « Quels professeurs au XXIe siècle ? », ainsi qu’au Collège de France.
- Tout document portant sur la conférence scientifique qui s’est tenue au Collège de France mentionnée par madame la ministre.
Pour démontrer l’imprécision qu’elle impute à ma demande, l’administration s’attache au syntagme « tout document portant sur », qu’elle dissocie des indications très précises qui l’accompagnent. L’administration substitue à ces indications le syntagme « tel ou tel sujet ».
Exiger des indications plus précises que celles qui sont fournies dans ma demande reviendrait à vider de leur contenu les dispositions légales portant sur l’accès du public aux documents administratifs. Ce qui a motivé ma demande est, principalement, le caractère flou des déclarations formulées devant la commission sénatoriale et leur apparence parfois contradictoire. Nous avons 496.800 euros pour une étude des plus minces, un cabinet de conseil tentaculaire (voir Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques – Rapport Rapport n° 578 (2021-2022), tome I, déposé le 16 mars 2022), des conférences scientifiques dont on ne trouve pas trace, des travaux mobilisés, comme dit la ministre de Monchalin, sans qu’on sache exactement à quoi. Si des demandes comme les miennes sont formulées, c’est parce que les explications données sur l’usage de ces 496.800 euros sont confuses. Si des demandes comme la mienne sont imprécises, c’est en raison de l’imprécision des déclarations de la ministre de Monchalin. C’est pour dissiper cette imprécision que j’ai demandé les documents dont lesdites déclarations nécessitent l’existence. Je crois que ma demande les caractérise de façon suffisante et que leur recherche, si elle avait été menée de façon loyale, n’aurait pas fait peser une charge excessive sur l’administration.
Je demande au tribunal de s’extraire de la circularité d’un état de fait qui aurait pour conséquence que le citoyen ne pourrait suivre l’emploi de la contribution publique parce que, comme cela se produit dans le cas d’espèce, ce dernier lui est présenté de manière opaque et parce que, du fait de cette opacité, ses demandes de documents seraient imprécises, ce dont l’administration exciperait pour les refuser. Cette circularité vide de son sens non seulement le Code des relations entre le public et l’administration, mais aussi l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »).
Dans son mémoire, l’administration se décrit perplexe. Elle ne savait pas à quelle direction du ministère s’adresser. Il nous faut la deviner, comme frappée de stupeur, incapable de transmettre ma demande au ministère de la transformation publique, incapable de répondre à la CADA ; indécise et hésitante, aussi, car ma demande peut relever de trois ou quatre directions générales, et n’interrogeant aucune d’elles. Est-ce vraiment sérieux ? L’affaire sur laquelle portent les documents demandés concerne, faut-il le rappeler ?, des questions qui ont suscité un intérêt public considérable et qui ont conduit, avec d’autres, à la mise en place d’une commission d’enquête sénatoriale. Il ne s’agit pas de « tel ou tel sujet » qui serait sorti du libre vol de l’imagination d’un citoyen oisif.
Je comprendrais sans mal que l’administration ne soit pas certaine d’avoir identifié tous les documents concernés. Fallait-il, pour autant, qu’elle n’en communiquât aucun ? L’argumentaire de l’administration est spécieux, qui semble vouloir dire qu’une demande sur tout document étant excessive, elle serait fondée à ne rien transmettre. En réalité, au vu de la jurisprudence, « tout document » devait être lu comme « tout document dont la recherche ne ferait pas porter une charge excessive sur le travail de l’administration ».
Je remarque, au demeurant, que l’administration sait très bien, quand elle le veut, interpréter, dans le sens du paragraphe précédent, une demande qui porte sur un ensemble de documents dont elle seule est en capacité de définir de façon précise le périmètre, comme en témoigne le message que m’envoya madame T quelques mois après que j’eus formulé la demande dont il est question ici. J’avais sollicité transmission de l’ensemble des messages échangés au sujet d’une demande de communication de documents que j’avais formulée, qui avait été largement diffusée au sein du ministère. Voici la réponse de madame T :
Bonjour Monsieur,
En réponse à votre demande, je vous prie de bien vouloir trouver, ci-joint, l’ensemble des échanges internes ayant pu être retrouvés en lien avec la réponse qui vous a été apportée par Mme Garde le 8 décembre 2020.
Je vous prie de croire, Monsieur, en l’assurance de ma considération.
TT
Cheffe du bureau de la protection des données et de l’information publique- DAJ A3
Direction des affaires juridiquesSecrétariat général
99, rue de Grenelle – 75007 PARIS
TT@education.gouv.fr
Destinataire
Nowenstein-Y-Piery Sebastian
Parmi les documents que le citoyen sollicite en vertu des dispositions contenues dans le Code des relations entre le public et l’administration, un sous-ensemble très considérable est constitué de documents qui ne peuvent être définis qu’à l’aide de syntagmes tels que ceux que j’ai utilisés (« tout document portant sur », « l’ensemble des messages »…, etc). La définition des documents demandés ne peut être qu’heuristique, en ce sens qu’elle doit permettre à l’administration de trouver les documents demandés. L’administration loyale cherche les documents demandés en déployant des efforts raisonnables ou communique la demande à l’administration autre susceptible de les détenir. Il se déduit du dossier que l’administration n’a ni cherché, ni trouvé, ni transmis.
L’administration entend prendre appui sur une décision du Conseil d’État (Conseil d’Etat, 2 / 6 SSR, du 27 septembre 1985, 56543, publié au recueil Lebon), dont elle cite quelques mots, que l’on replacera utilement dans le paragraphe dont ils sont issus :
Cons. qu’il ne résulte pas des pièces versées au dossier que le barreau de Lyon ait effectivement constitué un dossier au nom de M. X… ; qu’il n’était pas normalement appelé à le faire et n’y était en tout cas nullement tenu ; que, dans ces conditions la demande de l’intéressé étant dépourvue de toute précision quant à la nature des pièces demandées et l’Ordre des avocats au barreau de Lyon n’étant pas tenu, dans le cadre de la loi du 17 juillet 1978, de faire des recherches en vue de collecter l’ensemble des documents éventuellement détenus par lui et concernant M. X…, le bâtonnier du Conseil de l’Ordre a pu, à bon droit, refuser d’y donner suite ;
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007690167/
On peine à voir le lien entre une demande dépourvue de toute précision et portant sur un dossier éventuellement inexistant et celles que j’ai formulées, qui portaient sur des documents dont l’existence se déduit des déclarations d’une ministre devant une commission d’enquête sénatoriale.
L’administration affirme aussi que les déclarations de monsieur Tadjeddine permettent de comprendre que son cabinet a travaillé avec le ministère de la transformation publique. Cette remarque appelle les observations suivantes :
- Il ne se déduit pas des déclarations citées que les documents demandés n’étaient pas en la possession du ministère de l’éducation nationale.
- Il ne se déduit pas de ces déclarations que le ministère n’avait pas à transmettre ma demande au ministère de la transformation publique si ce dernier devait être le destinataire final de la demande.
III. Conclusion
Je demande au tribunal d’ordonner à l’administration de me communiquer l’ensemble des documents sollicités à l’exception du rapport qui m’a déjà été communiqué.
Je suis conscient, cependant, que la tâche du tribunal est difficile. Je comprends qu’il n’a pas à sa disposition des moyens d’enquête susceptibles d’établir si les documents dont les déclarations de la ministre de Montchalin conduisent à postuler l’existence existent véritablement ou non. Le tribunal ne peut ordonner la communication de tel ou tel document, puisque l’administration ne fait rien pour les identifier, alors que seule elle est en mesure de le faire.
Je ne doute pas, néanmoins, que la sagesse du tribunal le conduira à faire droit à ma demande et à signifier à l’administration qu’elle doit exécuter ses obligations de façon loyale et diligente.
Sebastian Nowenstein