Apologie du terrorisme, l’atelier d’écriture du 23 avril 2048. Article L111-6-π.

Des initiatives coordonnées se mettent en place qui ont pour but de soutenir les personnes accusées injustement d’apologie du terrorisme. Cet atelier d’écriture en fait partie.

L’association Article L111-6-π m’a invité à participer à un live se déroulant dans le futur, le 23 avril/mars 2048. La discussion portera sur l’infraction d’apologie du terrorisme, dont l’expansion exponentielle me préocuppe et, vous le savez, me concerne directement. L’association m’a envoyé le verbatim d’un autre live, celui auquel a été invitée une dame appelée Saturnina Nuevapiedra. Je le reproduis plus bas.

Je comprends que l’article dont l’association porte le nom fait obligation aux parlementaires de débattre d’une infraction si 343 personnes s’en accusent spontanément. L’article L111-6-π relève de la catégorie des articles π, formée par des articles et des dispositions de valeur constitutionnelle qu’il est impossible d’écrire entièrement. Leur efficacité n’en est pas moins reconnue ou, en tout cas, n’est pas moindre que celle d’un certain nombre de dispositions constitutionnelles que l’on ignore de façon constante et répétée.

Je comprends aussi que, dans le futur, les gens se lancent des défis, qu’il y a des concours dont le gagnant est la personne la plus injustement poursuivie pour tel ou tel délit. Ce système étrange est toléré parce qu’il contribue à la vitalité de l’article L111-6-π. Des dérives se font jour toutefois : des entreprises vendent des dispositifs sophistiqués qui rendent presque certaines les poursuites. Ces distorsions sont inévitables. J’ai connu des jeux de hasard dont le prix était la mort, ou le fait, plutôt, d’avoir risqué sa vie et de ne pas être mort.

Le futur m’apparaît comme un lieu inquiétant. J’essaye, sans grand succès, de me rassurer en me disant que la perception que j’ai de lui n’est fondée que sur les quelques éléments épars qui m’en parviennent et que je reproduis sans délai dans ce blog. Il m’arrive de me demander s’il existe vraiment. Il m’arrive de me demander si les messages que j’en reçois ne sont pas des effets d’écho quantiques qu’Erzano Espinosa prédit dans ses travaux sur l’atttrition des mondes possibles. EE suggère que les messages que nous recevons du futur et des mondes possibles contiennent presque exclusivement des informations susceptibles d’être déduites de notre présent. Le nombre de participants au live de 2048 habitant l’année 2024 renforce mes craintes. J’observe, de surcroît, que les propos des habitants du futur sont imprécis et comme effacés. On se rappelle qu’une variante de la théorie d’Erzano Espinosa postule que l’univers ne possède que deux dimensions et que les autres sont une sorte d’holograme déductible des deux seules dimensions réelles. Pour sa part, le physicien M.M. Vopson, dans Reality Reloaded: The Scientific Case for a Simulated Univers, suggère que notre univers serait une simulation.

Je reproduis ci-après le live que j’ai reçu.

Le live du 23 avril/mars 2048.

Article L111-6-π reçoit aujourd’hui Saturnina Nuevapiedra (SN), poursuivie à de nombreuses reprises pour apologie du terrorisme. Saturnina a toujours été blanchie de ces accusations infamantes. Elle partage avec nous son expérience. Posez-lui vos questions.

Président Newborn : Bonjour. Je me demande si glorifier le maréchal Sissi, qui tient l’Égypte d’une main de fer et terrorise ses opposants, pourrait fonctionner.

SN : Bonjour Président Newborn. Je dois d’abord formuler une objection. Il s’agit de se faire poursuivre tout en étant innocent. Il n’est pas clair pour moi que glorifier le maréchal Sissi ne relève pas de l’apologie du terrorisme. Je vous invite à lire le courrier que j’ai adressé au président Macron sur le sujet et à choisir des moyens honorables de parvenir à vos fins.

Paladia : Concrètement, Saturnina, comment fait-on pour être poursuivi ?

SN : On fait une déclaration et on attend. Le problème, bien sûr, c’est que, quand on n’est pas célèbre, la déclaration risque de passer inaperçue. Une solution consiste à l’envoyer à des organisations spécialisées dans le dépôt de plaintes et la constitution de partie civile. Il peut s’agir d’organisations professionnelles, que l’aspirant apologiste rétribue financièrement, ou d’associations qui agissent simplement pour défendre une cause et qui, pour ce faire, s’efforcent de réduire au silence leurs adversaires. Pour ma part, je n’ai jamais payé quiconque pour qu’on m’accuse d’apologie du terrorisme et je réprouve ce procédé. J’ai toujours choisi la démarche la plus directe : écrire à la procureure pour m’accuser d’une infraction que j’estime ne pas avoir commise. Si vous êtes fonctionnaire, il peut être intéressant d’invoquer l’article 40 du code de procédure pénale, qui, je cite de mémoire, fait obligation au fonctionnaire qui acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en aviser sans délai le procureur de la République.

Selam : Il y a une loterie aussi, je crois ?

SN : Plus maintenant. Pendant un temps, le parquet organisait une loterie dont le gagnant devenait éligible à des poursuites pour apologie du terrorisme. Il fallait néanmoins constituer un dossier solide. Ce mécanisme a été abandonné et nombreux sont ceux qui le regrettent. Il avait l’avantage surajouté de contribuer au financement des institutions judiciaires. La loterie judiciaire, qui ne se limitait pas à l’infraction d’apologie du terrorisme, est documentée pour la première fois en Babylone. Je vous invite à lire le travail brillant que Borges lui a consacré : La lotería de Babilonia.

Jadis : Je vous écris du passé. Est-ce que je peux participer au Grand Défi ?

Article L111-6-π : Oui, Jadis. La date limite pour nous envoyer la preuve que vous faites l’objet d’une enquête préliminaire est différente. Notre secrétariat vous donnera tous les détails.

Jadis : Ah, super.

Article L111-6-π : Pas de souci. Avez-vous une question pour SN ?

Jadis : Oui, mais d’abord une question un peu périphérique, si vous voulez bien. Sissi est toujours au pouvoir en Égypte ?

SN : Oui, Jadis, bien qu’il soit mort. Être mort n’est plus un problème pour être président. C’est une innovation qui vous surprendra, mais qu’il fut estimé indispensable d’introduire lorsqu’un certain Joseph Biden arriva au pouvoir aux États-Unis.

Jadis : Mais comment un mort peut-il gouverner ?

SN : En vérité, ce n’est pas le mort qui gouverne, mais un Algorithme Incarné (AI), aussi appelé, sous sa forme multiple, Etres Désincarnés (ED), qui prend les décisions que le mort aurait prises s’il avait été vivant.

Article L111-6-π : Votre question, Jadis…

Jadis : Oui, pardon. Voilà. Je suis en 2024. J’habite en France, à la campagne, et j’ai un revenu élevé ; je suis philosophe et travaille sur la notion de causalité. Je voudrais me faire inculper pour apologie du terrorisme en déclarant qu’il y a un lien de causalité entre l’occupation des territoires palestiniens par Israël et les attaques du 7 octobre. Cela vous semble-t-il possible ?

SN : Ce n’est pas évident, mais c’est possible. A priori, vous n’avez pas le profil. Mais n’oubliez pas que le parquet doit créer l’apparence qu’il agit de façon impartiale. C’est un beau challenge, en tout cas. J’ajoute que de nombreux juifs antisionistes sont poursuivis à votre époque pour antisémitisme : ne vous découragez pas.

Sabra : Justement, je craignais que mes origines soient un problème…

SN : Votre pseudo en dit long sur vous, Sabra. Il n’y a jamais eu autant de juifs poursuivis pour antisémitisme dans le monde… Vous avez toutes vos chances.

2024 : Bonjour. Moi aussi, je suis de 2024. Que pensez-vous des tables de proférations ?

SN : Ah, il faut dire un mot de ces tables pour nos lecteurs de 2048. Il s’agit d’énoncés dont la profération, pense-t-on, accroît les chances que l’on soit poursuivi. En même temps, comme il s’agit d’énoncés déjà formulés qui n’ont pas suscité de poursuites, les chances de ne pas être condamné sont plus grandes. Devant le tribunal, l’apologiste présumé déclare n’avoir fait que reprendre un propos déjà proféré. Voici ce que j’en pense : ces tables sont intéressantes, mais elles doivent être traitées avec prudence. D’une part, parce que les parquets en connaissent l’existence et auront tendance à ne pas s’encombrer des candidats apologistes qui y ont recours et qu’ils peuvent regarder comme étant plus coriaces que d’autres. D’autre part, parce que le parquet aura égard au contexte de votre profération, à ce qu’on appelle en droit les circonstances extrinsèques.

Jadis : Macron est toujours président chez vous ?

SN : Oui. Monsieur Macron est mort, mais son AI préside toujours aux destinées de la France.

Antonio : Et vous, SN, êtes-vous vivante ? Si oui, quel âge avez-vous ?

SN : Je ne suis pas morte, mais je n’en ai plus pour longtemps. Mon esprit est bien dégradé maintenant. Mon AI prend désormais la relève la plupart du temps. C’est elle qui sera poursuivie pour apologie du terrorisme.

Jadis : Chez nous, une syndicaliste a été condamnée à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Enferme-t-on les AI ?

SN : Oui, ce sont des prisons d’un genre particulier. Mais je vous rappelle que je n’ai jamais été condamnée.

Jadis : J’ai publié un article défendant la thèse de Bertrand Russell, que voit la prétendue loi de causalité comme un reste d’un passé révolu. On risque de me dire que je ne peux pas défendre l’existence d’un lien de causalité entre l’occupation israélienne et les attaques du 7 octobre 2023, puisque je pense avoir démontré que la notion de causalité est une illusion.

SN : Je crois que la procureure ne comprendra pas cette objection que vous vous faites à vous-même.

Jadis : Vous connaissez bien l’histoire de la manière dont les tribunaux ont traité l’infraction au cours des cinquante dernières années. Me direz-vous si je serai poursuivi et si je serai condamné ?

SN : Il m’est interdit de répondre à votre question. Je vous invite cependant à persévérer dans vos efforts. Je vois, Jadis, que vous avez déposé d’innombrables questions. Pardonnez-moi, je dois aussi répondre à celles des autres.

Borges Periodista : On m’a dit que vous parliez de moi ici. Je suis donc venu voir. Je voudrais dire ceci : il y a une centaine d’années, j’écrivis un récit qui mettait dans la bouche d’un criminel nazi l’idée que tuer le poète juif David Jerusalem avait été un moyen de tuer la pitié en lui. Mon personnage, la veille d’être exécuté, essaye d’identifier les causes de la joie qu’il éprouve, alors que l’Allemagne a été vaincue. Il comprend qu’il s’agissait de faire régner la violence, même si l’Allemagne périssait, et de faire disparaître les timidités chrétiennes : Lo importante es que rija la violencia, no las serviles timideces cristianas. Si la victoria y la injusticia y la felicidad no son para Alemania, que sean para otras naciones. Que el cielo exista, aunque nuestro lugar sea el infierno. Est-ce que, si j’écris qu’en détruisant des dizaines de milliers de Palestiniens, les généraux israéliens ont extirpé toute pitié de leur âme et que le peuple juif a été détruit deux fois, la première par les Nazis et la deuxième, en son âme, par l’Etat d’Israël, je serai poursuivi ? Je précise que je ne souhaite pas l’être. Je me permets de venir sur ce live parce que j’ai besoin de conseil.

SN : Votre texte, que je connais bien, a toujours suscité la perplexité. Otto Dietrich zur Linde est un monstre ; vous ne le cachez pas et lui non plus. On reconnaît, cependant, dans ses lectures, les vôtres. J’aurais préféré que vous écriviez à la troisième personne. Je n’ai pas envie de vous conseiller ici. Je dirais juste qu’il est difficile d’être juif après Gaza, même si on s’est battu pour que la tuerie cesse. On se sent sali. Je ne sais pas si Israël a tué l’âme du peuple juif, une notion que j’ai du mal à manier. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’Israël, pendant de longues années, s’est efforcé de détruire la culture yiddish et de détruire la langue yiddish.

Shlabio : Je suis l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire d’Israël. Je reconnais, dans des propos qui ont fait l’objet de poursuites, des positions que j’ai défendues tout au long de ma carrière académique. Comment faire pour être poursuivi ? Comment neutraliser la protection dont je bénéficie en tant qu’auteur et universitaire ayant publié avant l’âge d’or de l’apologie ?

SN : Prenez une carte à la CGT. Prenez un emploi modeste. Écrivez à la procureure. Ce qu’il faut, c’est que l’action légale soit lancée avant que l’on comprenne que vous ne relevez pas du public visé. Une fois la convocation pour une audition libre ou l’arrestation intervenue, il sera difficile au parquet de justifier le classement sans suite de la plainte. Surtout ne perdez pas espoir, le périmètre de l’apologie du terrorisme ne cesse de s’étendre.

Estima : Pouvez-vous nous en dire plus sur ces tables de profération ? L’informatique quantique peut donner une nouvelle vie à cette vieille idée, non ?

SN : Estima, vous êtes au courant de quelque chose, vous…

Estima : Je l’avoue.

SN : En ce moment, plusieurs équipes travaillent, en effet, à renouveler le concept. Fondamentalement, il y a trois moyens qui se combinent : la profération elle-même, c’est-à-dire, l’énoncé, le propos, si vous voulez ; la personne qui profère, la logeuse de la profération, comme on dit et, enfin, le contexte de la profération. On sait, depuis longtemps, trouver des propos non poursuivis qui embarassent la justice. On arrive à mettre en place des transformations qui les démultiplient sans les dénaturer. Ce qui est plus récent, c’est qu’il existe des individus qui surgissent, font une profération et disparaissent. Ce sont des personnes qui, pour la plupart, viennent de mondes parallèles. Il s’agit aussi d’algorithmes incarnés. Le troisième moyen concerne des mises en scènes qui fournissent les conditions extrinsèques (le contexte, pour parler plus simplement), qui accroissent la probabilité que la justice agisse.

Estima : Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, mais merci.

SN : Avant de prendre une nouvelle question, je voudrais dire que, âgée comme je le suis, je préfère la bonne vieille méthode, qui consiste à tout faire soi-même. Je crois en la nécessité d’assumer un risque personnel d’emprisonnement. Ce risque que l’on assume est un gage de sincérité qui s’efface lorsque, par des moyens sophistiqués, on parvient à bloquer l’action des autorités.

Hilda : Comme vous le savez sans doute, l’Allemagne a le triste privilège d’être l’auteure du premier génocide du XXème siècle et du plus célèbre. Elle a aussi été complice d’un troisième. Je parle, bien entendu, du génocide des Hereros et des Namas, celui des Juifs et des Gitans et, enfin, de celui des Arméniens. Il semble qu’aujourd’hui, elle se rende coupable de complicité avec le génocide plausible des Palestiniens. Tout se passe comme si l’Allemagne estimait qu’avoir tué six millions de juifs lui créait l’obligation de contribuer à un génocide si ce dernier est commis par des personnes ayant un génome réputé proche de celles et ceux qu’elle a tués. Est-ce que dire que les Gazaouis sont les Juifs d’aujourd’hui suffirait ?

SN : C’est intéressant. Quand vous passez, en 2024, devant le Conseil Régional des Hauts de France, vous voyez deux drapeaux d’Israël. Interrogé sur RFI, le président Bertrand évoque le génocide commis le 7 octobre par le Hamas. En 2024, j’ai beaucoup entendu dires que l’action israélienne était une riposte proportionnée à un génocide, que tous les Gazaouis, en ce compris les enfants, étaient coupables. Avec cette grille de lecture-là, votre propos pourrait être lu comme présentant les bourreaux comme des victimes.

Sucubo : Je suis metteur en scène et propriétaire d’un théâtre. Est-ce que la mise en scène d’un procès pour apologie du terrorisme constitue une apologie du terrorisme ?

SN : Je ne suis pas juriste, mais il me semble que le tribunal aura à dire si la pièce relève d’une véritable démarche artistique ou s’il s’agit d’un meeting déguisé.

Rala : Je rebondis sur la question précédente. Je suis artiste et je me demande dans quelles conditions une installation pourrait être regardée comme une apologie du terrorisme. J’imagine quelque chose de très sobre, de très minimaliste qui s’appellerait CAUSES, une sorte de tryptique qui présenterait sur un panneau central des réflexions sur la causalité et, sur les deux panneaux latéraux, des exemples de liens causalité tolérables légalement et des exemples de liens de causalité qu’il serait interdit de proférer sous peine de tomber sous le coup de la loi. Les visiteurs auraient à leur disposition des écriteaux qui leur permettrait de se photographier d’un côté ou de l’autre de la causalité. Ils se feraient ainsi tomber d’un côté ou de l’autre de la légalité.

SN : Je crois que tout dépend des causes que vous choisirez de retenir, de comment vous les formulerez et du cadre de votre tryptique. Je voudrais formuler une objection : la présentation que vous avez effectuée de votre dispositif ne permet pas de savoir si des énoncés inacceptables tels que : « les femmes sont violées parce qu’ells provoquent leur violeurs » y trouveraient place. Je suppose que vous me direz que non, évidemment. Mais la question que je voudrais vous poser est celle de savoir ce que vous faites des causalités illégales ET illégitimes. Laissez-moi vous raconter une vieille histoire : A pousse B dans un précipice. Devant Dieu, A plaide que si la gravité n’existait pas, B ne serait pas mort. A explique que ce n’est pas lui qui a organisé l’apparition de la matière, qui, à son tour, donne naissance à la gravité. Dieu peut-il condamner A sans se condamner ? Je vous taquine, mais je trouve votre idée très bonne. Peut-être seulement qu’il faut sortir de l’idée du tryptique et rechercher une forme géométrique plus complexe.

Arda : Moi aussi, je suis artiste. Je propose de délivrer des convocations judiciaires aux gens qui le désirent, d’organiser des procès, etc.

SN : Je vois, Arda. Malheureusement, nous n’avons plus de temps. Je ne peux pas commenter votre initiative sans disposer du détail de ce que vous envisagez. N’hésitez pas à m’écrire.

Bonne soirée à toutes et tous.