Je m’accuse d’apologie du terrorisme (II). Lettre à la Procureure.

À Bruxelles, le 15 juin 2024

Référence : https://sebastiannowenstein.org/2024/06/15/je-maccuse-dapologie-du-terrorisme-ii-lettre-a-la-procureure/

Madame la Procureure,

Je fais l’objet d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme sur la base d’un écrit dans lequel j’affirmais que, parce qu’Israël, afin de s’opposer à la création d’un État palestinien, avait œuvré au renforcement du Hamas et contribué à son financement, une part de la responsabilité des actions de ce groupe lui était imputable.

Pour fonder mon analyse, je faisais appel aux poursuites dont fait l’objet le cimentier Lafarge :

Pour défendre la possibilité de cette imputation, je rappelle l’affaire Lafarge. Le cimentier est en effet mis en examen pour complicité de crimes contre l’Humanité pour avoir, afin de poursuivre son activité en Syrie, versé plusieurs millions d’euros à des groupes terroristes, dont l’organisation État islamique (EI). Cette mise en examen ne requiert pas que l’entreprise ait eu la volonté d’aider à la commission des crimes de ces groupes. Il suffit que ses actes y aient contribué.

J’ai rendu compte récemment d’un verdict que j’estime historique : Chiquita Brands devra payer 38,3 millions de dollars à 16 familles colombiennes victimes des AUC, un groupe paramilitaire d’extrême droite que la compagnie a financé (voir, par exemple, Chiquita Held Liable for Deaths During Colombian Civil War). C’est tout naturellement que je me suis demandé quelle serait la position de la justice états-unienne si elle venait à être saisie par des victimes du Hamas – qu’elles soient israéliennes, palestiniennes ou d’autres nationalités – qui exigeraient d’être dédommagées par Israël. Dans cette note, je m’interroge également sur la possibilité que l’entreprise publique espagnole Canal de Isabel II (fortement soupçonnée d’avoir financé les paramilitaires colombiens) fasse aussi l’objet de poursuites.

Mais, si je vous écris aujourd’hui, c’est pour vous signaler que, dans la note mentionnée, qui est publique (cette lettre l’est aussi, voir référence), je mentionne l’enquête préliminaire dont je fais l’objet et je rappelle aussi l’assertion mentionnée plus haut. Vous pourriez voir à nouveau dans cette publication des indices d’apologie du terrorisme.

J’estime, bien entendu, être totalement innocent de cette infraction. Ma position est donc la même que celle que j’ai adoptée lorsque je vous ai écrit pour la première fois. Mais votre décision d’enclencher une enquête préliminaire à mon encontre me conduit à penser que vous ne partagez pas nécessairement mon avis. C’est pourquoi il m’a semblé nécessaire de porter à votre connaissance l’écrit susmentionné.

Je vous communique aussi le dossier en cours d’élaboration que je publie sur l’affaire Aurore Bergé. La ministre Bergé a diligenté une enquête portant sur l’ensemble des associations féministes subventionnées par l’État, qu’elle soupçonnait, entre autres choses, d’apologie du terrorisme. La ministre a aussi diffusé de fausses informations en donnant des chiffres fantaisistes sur le nombre de victimes israéliennes des attaques du 7 octobre 2023.

Je trouverais absurde d’être poursuivi pour avoir publié le dossier que je vous transmets. Mais, comme je vous le disais dans mon premier courrier, je comprends que je dois me faire humble : si les assertions que j’ai rappelées concernant les conséquences qu’il fallait tirer du financement du Hamas par Israël ont eu pour effet de susciter une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme à mon encontre, pourquoi un travail qui questionne la position de la ministre Bergé n’en relèverait-il pas ? Nier que, comme le prétend la ministre, des milliers de femmes israéliennes ont été exterminées, assassinées, violées ou brulées reviendrait-il à minimiser les atrocités commises par le Hamas ? Ma réponse, évidemment, est non. Mais dans une époque dans laquelle, sans conséquence aucune, une ministre diffuse de fausses informations et déclare publiquement avoir suspecté que les associations qu’elle subventionne pratiquaient l’apologie du terrorisme et dans laquelle, en outre, on fait l’objet d’une enquête préliminaire pour le texte que je vous ai transmis, il est nécessaire d’intégrer la possibilité que les propos les plus mesurés tombent sous le coup de la loi.

Je profite de cet envoi pour porter à votre connaissance le courrier que j’ai adressé à l’ambassadeur d’Allemagne au sujet de la politique de soutien de ce pays à Israël et celui que j’ai transmis à l’ambassadeur du Danemark, qui rappelle la politique de stérilisation systématique des adolescentes groenlandaises mise en place par le Danemark entre 1966 et 1970. Vous apprécierez si ces textes doivent ou non recevoir une qualification pénale.

Je vous informe enfin que je m’efforce de mettre en place un atelier d’écriture fictionnelle qui, abordant des sujets ayant trait au droit, s’intéresse à l’apologie du terrorisme. Je n’exclus pas que certains passages des fictions que je publie dans le cadre de cette activité soient regardés comme relevant de l’infraction qu’on me reproche d’avoir commise. Je pense en particulier aux textes que vous pouvez consulter ici et ici.

Je vous prie d’agréer, madame la Procureure, l’expression de mes salutations les meilleures,

Sebastian Nowenstein, professeur agrégé.