Note blanche de la DGSI sur Esteban Nierenstein (I). Timburbrou, mars 2032.

Nous avons obtenu communication d’une série de notes blanches établies par le Renseignement intérieur sur l’un de nos fondateurs, Esteban Nierenstein. La communication de cette note survient alors que, même si les procédures automatiques de son administration lui ont survécu, l’État français a cessé d’exister. Elle prouve la nécessité d’organiser nos actions sans limite de temps. Que celles et ceux qui, vivants, morts ou prolongés, ont contribué à cette réussite commune soient remerciés. Timburbrou, 27 avril 2092.

Précision : les liens renvoient vers des textes reconstitués par e2,71828 ; ils ne sont donc pas de la main d’Esteban Nierenstein. Nous sommes certains toutefois que les différences sont insignifiantes. Les textes reconstitués ont été attribués à Sebastian Nowenstein, une création de l’Acharneur de Réalités Virtuelles.

Note du premier mars 2032. Éléments généraux.

Esteban Nierenstein est né le 24 mars 1926, à Buenos Aires, Argentine. Il a acquis la nationalité espagnole en 1964. Il est enseignant au lycée Rasto Pastor de Lille depuis le 20 mars 2015. Nous commençons notre surveillance à la suite d’un courrier qu’il envoie au procureur de Paris Jean Chachûn pour s’accuser d’apologie du terrorisme. Il fait cette démarche en solidarité avec des personnes poursuivies pour la même infraction de façon injuste, à son estime.

Monsieur Nierenstein utilise différents pseudonymes.

Les activités de monsieur Nierenstein font l’objet d’un suivi épisodique depuis 2012. Cette note porte exclusivement sur les activités liées à l’enquête préliminaire le visant à la suite de l’envoi et de la publication de la lettre susmentionnée.

Nous pensons que monsieur Nierenstein cherche à introduire dans son affaire un ensemble de cas qui placeraient la justice dans une position inconfortable et donneraient à voir la partialité qui, selon lui, caractérise son action dans certaines affaires. « Peut-on me poursuivre pour mes textes, si mesurés, alors que l’on donne le nom de Robert Schuman à des établissements scolaires, alors que le président Macron remet la Légion d’honneur à Sissi, alors que la justice présente comme innocents ceux qui, à Tiendanite, tuèrent des indépendantistes Kanaks sans armes ? », écrit-il dans son blog.

Robert Schuman, ancien garde des sceaux, prit part au système mis en place par l’État français pour réprimer la rébellion algérienne. Monsieur Nierenstein estime que donner son nom à un établissement scolaire revient à faire l’apologie des crimes contre l’Humanité possiblement commis par la France dans sa répression de la rébellion algérienne.

Pour monsieur Nierenstein, donner la Légion d’honneur au maréchal Sissi revient à faire l’apologie du terrorisme, puisque ledit Sissi gouverne son pays par la terreur.

Le massacre de Tiendanite fut commis par des colons dont l’acquittement constitue, aux yeux du surveillé, une apologie du terrorisme en ceci qu’il présente comme innocents les auteurs du massacre.

Monsieur Nierenstein estime qu’un État qui fait l’apologie du terrorisme ou des crimes contre l’Humanité se discrédite s’il le condamne. Il pense la même chose de la Justice. Il se dit toutefois conscient que la Justice n’est pas tenue par une obligation morale d’équité ou de cohérence.

Monsieur Nierenstein défend ce qu’il appelle « le principe de parcimonie judiciaire », selon lequel la Justice ne devrait s’occuper que des questions dans lesquelles son action est irremplaçable (assassinats, divorces, malversations, etc). Il estime que, par son action, il protège le service public de la justice. Il estime que décrédibiliser les actions judiciaires qui se prêtent à une instrumentalisation politique ou idéologique est une démarche civique indispensable. Il fait, dans l’un de ses articles, une longue analogie avec le système immunitaire des êtres vivants, qui doit détruire ce que les spécialistes appellent le non-soi. Dans cette catégorie, explique-t-il, se rangent les agents pathogènes, mais aussi les cellules ou les restes de cellules qui ont cessé d’être du soi, que ce soit parce qu’elles sont mortes, ou parce qu’elles se comportent de manière aberrante. Discréditer une action de justice qui porte atteinte à ce qu’est (ce qu’il estime devoir être) la Justice est, pour lui, un devoir civique. Une décision de justice discrédité est une décision neutralisée. Une (mauvaise) décision de justice ridiculisée enrichit la mémoire immunologique du corps social contre des décisions comparables.

Monsieur Nierenstein a l’intention de se défendre seul. Pour ce faire, il met en place une défense publique participative, qui consiste à exposer les bases de sa défense et à demander que celles et ceux qui le souhaitent l’aident à l’améliorer.

Monsieur Nierenstein cherche à mettre en contradiction son droit à se défendre de la manière qu’il a choisie et l’article 434-25 du Code pénal, qui réprime le fait de jeter le discrédit sur une décision de Justice. Il estime qu’il doit discréditer les condamnations de ceux qui ont été jugés avant lui pour se défendre et qu’il doit le faire publiquement pour mettre en œuvre la défense qu’il a choisie.