Stérilisations forcées au Pérou, un crime de génocide ? Saisine de la Procureure

Référence : https://sebastiannowenstein.org/2024/07/20/sterilisations-forcees-au-perou-un-crime-de-genocide-saisine-de-la-procureure/

À Reykjavík, le 21 juillet 2024

Madame la Procureure,

Ayant constaté les faits ci-après, je vous en donne avis en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale. En application dudit article, je le fais sans délai, ce qui m’empêche de fonder chacun des faits énoncés de façon circonstanciée. En annexe, vous trouverez, cependant, les documents dont la consultation m’a conduit à acquérir la connaissance de la commission d’un crime de génocide contre des populations indigènes du Pérou par le biais de stérilisations contraintes et massives.

Les faits constatés :

  1. dans le cadre de campagnes faisant usage de la contrainte, des stérilisations massives ont été effectuées au Pérou, dont le nombre est estimé à 300.000
  2. ces stérilisations ont visé massivement des femmes indigènes,
  3. ces femmes font partie d’un groupe ethnique,
  4. le paragraphe d de l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide incrimine les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe lorsqu’elles sont mises en œuvre dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel,
  5. l’intention de détruire en partie la population indigène se déduit raisonnablement de l’emploi dans le Plan Verde, mis en place par les Forces armées péruviennes, de l’expression extermination totale (exterminio total),
  6. le Pérou a adopté une loi d’amnistie susceptible de rendre impossibles les poursuites pour les faits susmentionnés,
  7. les États-Unis, en application des préconisations du National Security Study Memorandum 200: Implications of Worldwide Population Growth for U.S. Security and Overseas Interests (NSSM200), ont mis en œuvre des actions visant à contrôler la natalité dans un certain nombre de pays dits moins développés (least developed countries, LDCs),
  8. l’agence USAID, qui a financé la politique de contrôle de la natalité au Pérou, ne pouvait ignorer, selon le rapport de la sous-commission d’enquête sur les stérilisations forcées de 2002 (Subcomisión Investigadora de Personas e Instituciones Involucradas en Acciones de Anticoncepción Quirúrgica Voluntaria, Informe Final sobre la Aplicación de la Anticoncepción Quirúrigca Voluntaria) qu’une politique de stérilisation contrainte était mise en œuvre,
  9. d’autres institutions qui ont conditionné leur aide au Pérou à la baisse de la natalité (la Banque mondiale, notamment) ont pu contribuer, volontairement ou non, à la campagne de stérilisations contraintes,
  10. le président syrien Bachar Al-Assad a pu faire l’objet d’un mandat d’arrêt alors qu’il ne réside pas en France,
  11. des personnes impliquées dans les faits susmentionnés pourraient résider dans le territoire français

Je vous prie d’agréer, madame la Procureure, l’expression de mes salutations distinguées.

Sebastián Nowenstein, professeur agrégé, lycée Gaston Berger, Lille.

Annexe. Documents dont la consultation m’a conduit à acquérir la connaissance des faits constatés plus haut.

Untold Truths: The Exclusion of Enforced Sterilizations from the Peruvian Truth Commission’s Report. Cet article présente des arguments juridiques sérieux en faveur de la thèse selon laquelle les stérilisations contraintes des femmes indigènes péruviennes constituent un génocide (page 23 et suivantes).

Rapport Kissinger : National Security Study Memorandum NSSM 200 Implications of Worldwide Population Growth For U.S. Security and Overseas Interests (THE KISSINGER REPORT) December 10, 1974.

INFORME No 71/03 PETICIÓN 12.191 SOLUCIÓN AMISTOSA MARÍA MAMÉRITA MESTANZA CHÁVEZ PERÚ 10 de octubre de 2003 établi par la Commission interamairicaine des Droits humains portant reconnaissance par l’État péruvien des abus commis dans le cadre de sa campagne de stérilisation.

La stérilisation forcée de population autochtone dans le
Mexique des années 1990, Pierre Gaussens
. Cet article évoque le cas péruvien et traduit un extrait du Plan Verde qui défend la nécessité d’une extermination totale de groupes humains désignés de façon large et ambiguë.

Stérilisations forcées des Indiennes du Pérou. Cet article du Monde diplomatique fait une synthèse des informations connues en 2004. Il montre l’implication de l’agence USAID dans la campagne de stérilisation et, citant David Morrison, qui fit connaître l’affaire aux États-Unis, suggère que le financement octroyé par ladite agence n’a pas cessé en dépit de la poursuite des abus : « Pourtant, l’Usaid n’a pas cessé d’envoyer de l’argent au gouvernement péruvien. Un financement devenu illégal. »

Au Pérou, les crimes du conflit armé pourraient rester impunis. Cet article du Monde nous informe de l’adoption de la loi d’amnistie susceptible de rendre impossibles les poursuites contre les faits cités plus haut.

Bachar Al-Assad : le mandat d’arrêt délivré par la justice française, aboutissement du précieux travail des militants syriens. Cet article du Monde nous informe de l’émission d’un mandat d’arrêt contre le président syrien.

Quelle portée pour le mandat d’arrêt international visant Bachar al-Assad ? Cet article examine l’innovation que constitue l’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État et se demande si un un mandat d’arrêt émis à l’encontre de personnes ne résidant pas en France est entaché de nullité.

Nuevas luces. La vigencia de la memoria posconflicto: el caso peruano de esterilización forzada (1996-2000). Dans cet article, l’universitaire péruvienne Ballón Gutiérrez étend la responsabilité des stérilisations contraintes au-delà du périmètre de l’État péruvien et affirme que ladite responsabilité touche différentes organisations internationales et étrangères.

Subcomisión Investigadora de Personas e Instituciones Involucradas en Acciones de Anticoncepción Quirúrgica Voluntaria, Informe Final sobre la Aplicación de la Anticoncepción Quirúrigca Voluntaria. Document cité au point 8. Les pages 45 et suivantes concernent l’implication d’organismes non péruviens tels que l’agence USAID.