À Bruxelles, le 27 septembre 2025
Mesdames, Monsieur,
Le 5 juin 2025 s’est déroulée au Collège de France et sous les auspices du programme Avenir Commun Durable, une conférence intitulée Dilemmes éthiques de l’activisme environnemental à laquelle vous avez pris part.
Je me permets de vous écrire, car, enseignant au lycée Gaston Berger de Lille, je travaille sur le financement du Collège de France par le pétrolier Total, dont les libéralités au bénéfice de cette institution vont à hauteur de 70 ou 80% à la chaire Avenir Commun Durable. Mon travail s’inscrit dans le cadre du projet Retour sur l’information, qui se donne pour but de revenir sur des informations journalistiques pour les approfondir et les prolonger.
La conférence mentionnée plus haut a fait l’objet d’un article dans Le Monde (ANNEXE I) en raison des déclarations controversées du professeur Fontecave, qui a estimé nécessaire, lors de vos échanges, nous dit Le Monde, de relativiser l’urgence climatique. Je souhaite, à titre subsidiaire, porter à votre connaissance que j’ai interrogé le professeur Fontecave sur l’apparence d’un conflit d’intérêt qui pourrait naître de sa proximité avec le groupe Total (ANNEXE II). La réponse du professeur Fontecave constitue l’ANNEXE III de ce message.
Je voudrais vous demander si vous accepteriez d’échanger avec mes élèves sur votre participation à la table ronde et sur le regard qu’avec le recul, vous portez sur son organisation et déroulement. Je voudrais cependant solliciter d’ores et déjà quelques commentaires de votre part qui, communiqués à mes élèves, leur permettront de préparer l’échange pour lequel je me permets de vous solliciter.
La décision de vous écrire a pour point de départ l’étonnement que j’ai éprouvé de vous voir participer à un événement sponsorisé par Total. Il y avait là, à mes yeux, une contradiction à tout le moins apparente avec ce que je découvrais sur vous. Il m’a semblé qu’éclairer cette contradiction apparente en établissant aussi minutieusement que possible les circonstances de l’événement et les raisons qui vous ont conduit.e.s à y participer était une manière pertinente d’approcher les tenants et les aboutissants du financement du Collège de France par TotalEnergies et d’en saisir quelques-uns des ressorts.
Je vous soumets quelques questions :
- Avez-vous, par le passé, participé à d’autres événements sponsorisés par TotalEnergies ?
- Avez-vous des liens avec l’entreprise TotalEnergies ?
- Comment et dans quelles circonstances avez-vous été sollicités pour participer à la table ronde ?
- Il se dégage de vos interventions l’impression que vous ne connaissiez ni la chaire Avenir Commun Durable, ni le professeur Fontecave. Madame Bulle, dans son propos liminaire, hésite : « Je pensais à ce que disait, euh…, le monsieur euh… (On lui souffle : Fontecave), voilà… Donc j’étais partie sur la police du vivant. » Saviez-vous que vous alliez participer à un événement sponsorisé par TotalEnergies ?
- Regrettez-vous d’avoir participé à la table ronde ? Estimez-vous que vous auriez dû vous informer davantage que vous ne l’avez fait avant d’y participer ?
- Vous êtes-vous exprimé.e au sujet de la table ronde après qu’elle a eu lieu ?
- Le Monde a-t-il sollicité vos commentaires avant la parution de l’article susmentionné ?
- Comment décririez-vous les échanges qui ont eu lieu après la table ronde proprement dite ?
- Dans sa réponse, le professeur Fontecave écrit au sujet des personnalités nombreuses qui ont pris part aux actions organisées sous l’égide du programme ACD : Tous ont accepté sans difficulté d’intervenir dans le cadre d’une initiative soutenue par le collectif de mécènes évoqués ci-dessus, ce qui n’aurait évidemment pas été le cas s’ils avaient pu avoir des doutes sur leur liberté de parole, sur une quelconque instrumentalisation de cette initiative par des intérêts privés ou sur l’existence supposée de conflit d’intérêt. Dans le cas concret de votre participation, approuvez-vous que l’on s’en prévale pour défendre l’idée que le financement par Total du Collège de France ou de la chaire ACD ne pose pas de problème éthique ou déontologique ?
- Quels commentaires l’article du Monde susmentionné et celui de Stéphane Foucart (ANNEXE IV), paru le 4 mais 2025 et intitulé « TotalEnergies chercherait à utiliser le Collège de France comme support publicitaire qu’il ne s’y prendrait pas autrement » vous inspirent-ils ?
- Plus généralement, comment analysez-vous le financement de la recherche sur la crise climatique par des acteurs privés dont l’activité accentue ladite crise climatique ?
- Concernant TotalEnergies, Greenpeace écrit dans un rapport publié en 2022 (ANNEXE V) : Au total, 103 structures publiques de recherche françaises ont été analysées, soit environ 65 % de lʼensemble dʼentre elles selon la liste du ministère de lʼEnseignement supérieur. Résultat : 55 % sont liées à TotalEnergies. Ces liens sont divers, plus ou moins étroits, parfois inextricables. Au sein des structures publiques de recherche liées à TotalEnergies, nous avons répertorié au moins 50 unités de recherche (laboratoires ou chaires) liées à la multinationale. Est-ce, à votre estime, un problème ? Un risque de biais généralisé de financement guette-t-il la recherche ? Si tel est le cas, pensez-vous que le développement d’une science collaborative soit en partie une réponse à ce biais ?
Ce courrier est public, comme le sont tous les actes de l’enquête que je conduis afin de préparer le travail de mes élèves. Les réponses que vous me communiquerez, si vous estimez opportun de donner suite à ce courrier, seront publiées sur le blog sebastiannowenstein.org, le même dans lequel je publie ce courrier, à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2025/09/27/financement-par-total-du-college-de-france-courrier-aux-chercheurs-ayant-participe-a-la-table-ronde-dilemmes-ethiques-de-lactivisme-environnemental/
Bien cordialement,
Sebastian Nowenstein, professeur agrégé, lycée Gaston Berger, Lille.
ANNEXE V : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2023/01/Rapport-Sciencewashing-2022.pdf