Lycéens, étudiants et journalistes, la naissance de la série.

Il y a 720 eurodéputés. Tous reçurent un mail de leur part. Ils voulaient les interviewer.

Ils avaient préparé avec des experts des questions précises qu’ils joignaient à leurs messages. Les conversations seraient enregistrées, transcrites et les propos tenus analysés avec l’aide des experts. Le tout serait rendu public intégralement et les eurodéputés auraient la possibilité de communiquer pour publication des addendas et tous les documents dont la connaissance par le public leur paraîtrait opportune.

Eux, ce sont les étudiants du BTS SAM de Timburbrou. Ils conduisent des Enquêtes publiques participatives (EPP), de vastes entreprises sans limite dans le temps que des dizaines de participants, parfois anonymes, exécutent avec patience, rigueur et minutie. Les journalistes passent, ont-ils coutume de dire, les étudiants restent. Quand un étudiant part, un autre le remplace. Il arrive que la fille ou le fils participe à une enquête dans laquelle son père ou sa mère collabora. Ces faits nous surprennent ; pour eux, ils sont sans importance.

Les questions, cette fois-ci, portaient sur l’alimentation. Pourquoi l’Europe empêche-t-elle la France de rendre le Nutri-score obligatoire ? Pourquoi l’Europe finance-t-elle des campagnes de promotion de la viande, alors qu’elle dit en même temps qu’il faut en diminuer la consommation ? Les questions sont nombreuses, le ton, direct. Ils demandent aux députés de les recevoir et de financer leur déplacement avec les fonds qui leur sont alloués pour faire connaître l’action du Parlement européen dans leurs pays respectifs.

Il y eut les 720 eurodéputés, mais aussi et surtout les 95 maires de la métropole, des députés nationaux, des chefs d’entreprise, des experts, des chercheurs… Les EPP ont la particularité de ne jamais prendre fin, mais elles en ont une autre qui n’est pas moins importante : leur ampleur. Dans le lycée de Timburbrou, ce sont deux mille élèves qui y prennent part. Ils recherchent des informations, écrivent, relancent, vérifient.

Dans toutes leurs communications, les étudiants martèlent : Ces enquêtes sont transparentes. Toutes leurs pièces sont publiques et publiées immédiatement. Chacun peut voir la lettre adressée à l’eurodéputé. Chacun peut lire sa réponse. Chacun peut constater l’absence éventuelle de réponse, ce qui était courant au début, mais est devenu fort rare, en raison du discrédit qui s’est de plus en plus attaché au refus de donner suite aux demandes des élèves.

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Trente ans se sont écoulés, mais je me souviens de leurs visages comme si c’était hier.

C’est par Aude Claton, journaliste, que j’entendis parler d’eux pour la première fois. Aude, en plus de son travail de journaliste, animait des ateliers de journalisme et les accompagnait, eux, les enquêteurs, comme elle les appelait simplement, et comme j’aillais aussi bientôt les nommer.

« J’ai une série pour toi », me dit-elle, abruptement, sans me laisser le temps de lui dire bonjour. « Il faut que tu viennes les voir, tu vas voir, ils sont extraordinaires. »

Quelques semaines après, le tournage de la série commençait. C’était simple. Ils jouaient leur rôle. Il suffisait de les accompagner. Ils jouaient avec passion et naturel.