Au sujet de l’interdiction du port de tenues de sport dans les lycées. L’état des débats à Timburbrou.

Les incursions de l’univers de Timburbrou dans le nôtre se poursuivent et la préoccupation qu’elles suscitent s’accroît. La dernière en date de ces incursions s’est produite sur le compte Mastodon de l’un de nos fondateurs, sans que ce dernier en ait été averti, sans qu’il ait pu l’empêcher.

Ces posts ont suscité des débats vifs, tant dans la communauté scolaire de Timburbrou qu’en dehors de celle-ci. Cependant, la visibilité des commentaires (nombreux) qui les ont accompagnés est, dans notre univers, aléatoire. N’hésitez pas à les sauvegarder s’ils apparaissaient sur votre écran, et à nous les envoyer. Il semble que les posts initiaux eux-mêmes soient en passe de s’effacer.

Nous reproduisons ici ceux que nous sommes parvenus à sauvegarder. Nous ajouterons (ou intercalerons) ceux qui, peut-être, nous parviendront dans le futur. Des erreurs de datation peuvent survenir. Nous pensons que les posts ont été pubiés entre le 18 et le 23 mars 2032 de Timburbrou, ce qui correspond au 3 mai 2025 dans notre temps. Voici ceux que nous avons sauvegardés :

I. Bonjour. Le lycée de Timburbrou, sur initiative de sa proviseure, madame Atraska, débat en ce moment de l’opportunité ou non d’interdire le port du jogging (et plus généralement, de toute tenue de sport), ainsi que celui de la casquette, dans l’enceinte du lycée.
Je suis élu au conseil de gestion dudit lycée. J’utilise ce compte pour mettre à votre disposition nos débats et pour solliciter votre regard sur une question qui paraîtra sans doute dérisoire à beaucoup, mais qui nous agite et nous préoccupe. Votre regard sur nos problématiques nous serait précieux ; nous avons besoin que des yeux neufs se posent sur elles.

II. La liste que je représente a attiré l’attention du conseil d’administration du lycée sur la jurisprudence très claire de la Cour d’appel administrative de Nancy de 2013 dont nous reproduisons plus bas un extrait :03 mai 2025, 09:42··Web0boost·0favori

III. 1/2 : « que cette disposition institue une interdiction permanente, qui prohibe le port de tout couvre-chef, indépendamment du fait qu’il est susceptible de manifester ostensiblement une appartenance religieuse, en tout lieu de l’établissement, y compris à l’extérieur des bâtiments ; que l’institution d’une telle interdiction par le règlement intérieur de l’établissement, sous peine de sanctions disciplinaires ou de poursuites appropriées, excède,…

IV. 2/2 alors qu’il n’est pas établi que des circonstances particulières justifiaient une telle mesure, ce qui est nécessaire au maintien du bon ordre au sein de l’établissement et porte ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression reconnue aux élèves ainsi qu’à leur droit au respect de leur vie privée ».

Cour Administrative d’Appel de Nancy, 1ère chambre – formation à 3, 10/06/2010, 09NC00424, Inédit au recueil Lebon
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000022364081

V. Notre liste a également attiré l’attention du CA sur le fait que, comme le rappelle le professeur Makus, « seule la loi peut restreindre les libertés de façon générale (article 34 de la Constitution) » et que, donc, seule la loi peut restreindre la liberté de s’habiller à sa guise. La loi de 2004, dite du foulard, illustre cette affirmation, puisque l’interdiction des signes permettant de manifester de manière ostensible une conviction religieuses s’est faite sur le fondement d’une loi, ce qui n’est pas le cas de l’interdiction du jogging ou de la casquette.
https://lessurligneurs.eu/peut-on-imposer-luniforme-a-lecole-en-france/

VI. Il reste, à notre estime, qu’une interdiction fondée sur des arguments précis de trouble à l’ordre public pourrait être établie sans méconnaître la légalité. Il faudrait, toutefois, pour qu’elle échappe à une censure telle que celle prononcée par la Cour de Nancy qu’elle soit motivée, non permanente et qu’elle ne couvre pas la totalité du périmètre du lycée.
Mais, justement, pourquoi interdire le port d’une tenue de sport ou de la casquette au sein du lycée ? Nous avons préparé une liste des principaux arguments utilisés par les défenseurs de la mesure :

VII. Voici donc ces arguments :
1/2
1. Il faut préparer nos élèves aux codes de l’entreprise,
2. Il faut que nos élèves comprennent qu’il y a des codes dans notre société
3. Ils viennent tous habillés en noir, ils ont tous la même coupe, c’est le dress code de la cité
4. Une tenue différente permet d’effectuer une bascule entre le monde extérieur et l’école,

VIII. 2/2
5. « (…) apprendre aux élèves à s’habiller de manière appropriée pour venir au lycée ou au collège, cela fait partie de leur éducation ». « Aller au lycée, ce n’est pas se promener à la maison après une grasse matinée, c’est aller dans un lieu de travail ».
6. Il y a un travail éducatif à faire auprès des élèves, conclut Philippe Tournier. Il faut leur faire comprendre pourquoi il faut réguler et contrôler sa propre tenue. » (les arguments 5 et 6 proviennent de France Info)
7. Ceux qui réussissent ne s’habillent pas en jogging.

IX. Un trait commun à tous ces arguments est qu’ils ne se fondent pas sur des recherches empiriques. Les effets escomptés sont présumés, jamais démontrés.
Il n’est pas évident que contraindre un élève à acheter un jeans pour remplacer son jogging et le contraindre à le porter quand il vient au lycée aura un effet sur sa « compréhension » de la question de la façon dont la tenue est regardée dans la société.
Il n’est pas certain, non plus, que nos élèves ne sachent pas que les agents immobiliers ou les banquiers n’ont pas pour habitude d’aller en jogging au travail.03 mai 2025, 12:32··Web0boost·0favori

X. 1/2 Les arguments mentionnés ont aussi pour caractéristique de ne pas s’insérer dans un cadre théorique clair. Ils relèvent d’une sorte de « bon sens » que l’on suppose largement partagé.
Est-ce un problème ? Il est certain que beaucoup de décisions sont prises sans les fonder sur des faits ou sans les insérer dans des cadres théoriques rigoureux.
Mais on peut penser que lorsqu’il s’agit de changer la loi (ou d’imposer une interdiction en la méconnaissant), un certain niveau de rigueur serait souhaitable.

XI. 2/2 Non qu’il faille pour toujours s’interdire de désobéir à une loi injuste ou qu’on estimerait telle, mais il faut s’entourer de quelques précautions, surtout quand l’article premier du code de l’éducation nous fait obligation de rechercher l’adhésion des élèves aux valeurs de la République. Les conditions sont-elles réunies pour que les établissements scolaires de France désobéissent à la loi républicaine pour interdire le jogging ? C’est une question on ne peut plus grave pour un enseignant.

XII. Les arguments 2 et 3 ont en commun de regarder les élèves ou leurs quartiers comme étrangers à notre société. Mais nos élèves et leurs quartiers font partie de notre société. Pourquoi l’École qui est un service public, interdirait à ses usagers de s’y rendre avec les habits qu’ils portent dans leurs lieux de résidence habituels ? Ces lieux, remarquons-le, dans lesquels ils habitent souvent bien malgré eux et en raison notamment de différents mécanismes de discrimination en jeu dans la société que cette dernière ne peut ou ne veut pas corriger. *

XIII. Tous ces arguments ont aussi une composante de pensée magique ou fétichiste : l’habit permettrait d’améliorer les performances cognitives et favoriserait un comportement approprié.
Si l’on peut concevoir qu’il y ait dans le jogging une forme de défi et si on peut aussi imaginer que l’élève qui ne le porte pas soit plus enclin à se montrer soumis à l’école, il ne faudrait pas inverser l’effet et la cause : il semble plus raisonnable que l’élève gentil refuse le jogging que d’imaginer qu’obliger l’élève pas gentil à porter un jogging fera de lui un élève gentil. On s’excuse de tant imaginer, mais l’absence de données de nos contradicteurs nous y contraint.

XIV. Notre liste a soulevé quelques questions pratiques. La principale d’entre elles est celle de savoir qui détermine si un habit est ou non un habit de sport. Nous anticipons des débats interminables et byzantins sur le sujet. Les enseignants se demandent aussi s’ils pourront, comme ils le font souvent, continuer à porter des baskets.

XV. Notre proviseure nous a appelés à « faire communauté ». Notre liste est partante, mais pense que la question est de savoir de quelle communauté il s’agit. Notre liste n’est pas partante pour faire communauté autour d’une interdiction sans base légale. Notre communauté ne peut pas se construire autour d’interdictions qui nous séparent de la communauté nationale par le mépris que nous opposerions aux lois qu’elle s’est donnée.

XVI. Notre liste estime que la question des habits et de leur signification sociale est intéressante. Mais elle estime que, conformément aux valeurs de l’École, elle doit être traitée par la connaissance.
Notre liste estime que cette question pourrait être traitée dans le cadre d’une réflexion plus vaste qui porterait sur les discriminations liées à l’origine, à la classe sociale présumée ou à l’apparence.
Nos élèves sont, pour la plupart, issus des classes populaires et de l’immigration. Il est vraisemblable qu’ils seront affectés par les discriminations qui frappent ces franges de la population. Il faut aborder ces questions de manière sereine, par le savoir.

XVII. Notre liste tient à signaler que les discriminations sont des faits avérés, ce qui les distingue des mutations de comportement imputées au fait de revêtir tel ou tel habit, qui restent de l’ordre de la supputation ou de la supposition. Notre liste rappelle aussi que s’adresser à l’intelligence des élèves est plus conforme aux missions de l’enseignant que de miser sur les effets supposément bénéfiques de le contraindre à s’habiller d’une manière qu’ils réprouvent.