« Apprendre et enquêter » au lycée de Timburbrou

Pendant l’année scolaire, chaque élève étudie et approfondit un sujet concernant l’un des pays dont il ou elle étudie la langue. À la fin de l’année scolaire, il ou elle se rend sur place et enquête.

Conçu par l’université d’Islande, au début des années 2000, le dispositif « Að læra og rannsaka », (Apprendre et Enquêter, en français), s’est acclimaté sans difficulté à Timburbrou.

Nous sommes un établissement particulier, nous dit Luisa Diarnet, proviseure. Nous n’avons pas de seconde et, dans le secondaire, nous avons des classes technologiques uniquement. Le plus gros de nos effectifs est constitué par des étudiants de BTS, dont une section de journalisme. L’initiative de madame Björnsdottir nous a tout de suite emballés. D’abord, parce qu’on la trouvait très intéressante, mais aussi, je ne vous le cache pas, parce que nous y avons vu l’opportunité de faire parler en bien de nous.

Madame Björnsdottir, mère d’élève du lycée de Timburbrou et islandaise, avait soufflé l’idée de cette initiative, dont elle-même, avait bénéficié dans son pays d’origine.

Nous, on était quatre, dit Pierre. Louna et Marie sont allées en Colombie. Azzam et moi sommes allés en Espagne, à Madrid.

Au départ, poursuit Azzam, c’était un projet de Louna et de Marie. Elles avaient décidé d’enquêter sur la brusque décision de l’éditeur de « Costa Nostra« , un livre d’une journaliste colombienne, Laura Ardila, de renoncer à la publication de cette enquête qui portait sur les pratiques douteuses du puissant clan des Char, implanté dans la région Caraïbe de ce pays. Très vite, elles se sont aperçues que l’affaire avait des ramifications en Espagne, car l’éditeur initial du livre d’Ardila était la multinationale espagnole Planeta. Pierre et moi étions partis sur un autre sujet, mais on n’arrivait pas à avancer. Elles nous ont convaincus de les rejoindre.

Ce qu’on a trouvé, intervient Louna, c’est que l’hypothèse la plus vraisemblable, eh bien, c’était que la décision de ne pas publier le livre n’avait rien à voir avec la politique colombienne, mais tout avec les affaires troubles de la compagnie des eaux madrilènes, Canal Isabel II, qui, par le biais de ses filières colombiennes, avait fait affaire avec des paramilitaires colombiens.

C’était l’époque, dit Marie, de l’affaire Chiquita, mais aussi, de l’affaire Lafarge. De nombreuses associations posaient la question de la responsabilité pénale des personnes morales et de leurs agents. Nous, on a posé une question nouvelle : quelle responsabilité pénale pour les compagnies publiques telles que celle de la communauté de Madrid ? Fallait-il incriminer les dirigeants politiques de la région madrilène ?

Pour leur professeur d’espagnol, Maria Alvarez, l’expérience doit être reconduite : Les élèves se sont pris de passion pour les sujets sur lesquels ils ont travaillé. Mais, surtout, ils ont tout de suite été en situation de communication, ce qui a dopé leur apprentissage de la langue.

Si les choses se sont aussi bien passées, indique Eve Tourdi, proviseure-adjointe, c’est aussi parce que nous avions réussi à mettre en place des partenariats solides avec des établissements étrangers. Nos élèves ont été accueillis et accompagnés sur place. Le système s’appuie sur la réciprocité, explique-t-elle. Ils aident nos étudiants et nous aidons les leurs.

Et Madame Tourdi de nous aiguiller vers un autre groupe d’élèves. Abdulaye, Marta et Karen ont aidé des étudiants de l’université de Buenos Aires à enquêter sur Mario Sandoval, un ancien policier et tortionnaire argentin qui s’était réfugié en France et que la France a extradé vers son pays d’origine.

On a adressé des dizaines de demandes de communication de documents aux autorités françaises, se rappelle Karen. On a été devant le tribunal administratif pour contester certains refus qui nous étaient opposés. Le Temps nous a même contactés ! Ils enquêtaient sur le même sujet que nous, dit Marta, qui, ayant fini ses études, travaille désormais pour le prestigieux journal du matin, comme on a l’habitude de dire, et est devenue, parmi nous, une collègue appréciée.

Pour Le Temps, Mélina Treck.