Le but de cette note est d’apporter des éléments factuels et de droit susceptibles de faciliter l’examen de la question suivante : « Le Collège de France et le ministre doivent-ils saisir le collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le financement par TotalEnergies de la chaire Avenir Commun Durable ?« . On pourra également se demander s’il serait opportun ou non que ledit collège de déontologie s’auto-saisisse du sujet.
Cette note s’inscrit dans le cadre du projet pédagogique Collège de France et Total, un mécénat qui interroge.
Les points 1 à 7 concernent le financement par TotalEnergies de l’initiative Avenir Commun Durable, du Collège de France, et de l’initiative du même nom.
Les points 8 à 15 portent sur l’annulation du colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », qui devait se tenir le 13 et le 14 novembre au Collège de France et sur le courrier par lequel le ministre Baptiste exprime son opposition à la tenue du colloque et informe l’administrateur du Collège de France que le collège de déontologie se tient à sa disposition. Ces points se justifient car il pourrait se déduire de l’opportunité, dans cette affaire, d’annuler le colloque ou de saisir le comité de déontologie celle de saisir le comité de déontologie dans l’affaire TotalEnergies/Collège de France.
Les points 16 à 25 portent sur l’indépendance des enseignants-chercheurs et sur leur liberté d’enseignement. Ces points renvoient à des dispositions légales et à de la jurisprudence concernant les missions des enseignants-chercheurs. La jurisprudence et les dispositions légales citées proviennent pour l’essentiel des avis du 29 mars 2024, du 17 février 2023 et du 21 mai 2021
Les points
Les éléments suivants me semblent devoir être considérés :
- TotalEnergies finance à hauteur de deux millions d’euros l’initiative Avenir Commun Durable (ANNEXE I) et la chaire du même nom. Cette initiative a pour ambition d’enrichir le débat public en diffusant et en partageant des données scientifiques vérifiées et approuvées dans le domaine du changement climatique. Avenir Commun Durable produit aussi de la recherche sur ce sujet.
- TotalEnergies est une entreprise qui, ainsi que l’ont documenté dans une recherche récente Bonneuil, Choquet et Franka (ANNEXE II), a produit, pendant des décennies, de l’ignorance dans le domaine du changement climatique.
- Le jeudi 23 octobre 2025, le tribunal judiciaire de Paris Dit que les sociétés TotalEnergies et TotalEnergies Electricité et Gaz France ont commis des pratiques commerciales trompeuses, en diffusant, à partir du site www.totalenergies.fr, des messages reposant sur les allégations portant sur leur “ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » et » d’être un acteur majeur de la transition énergétique » de nature à induire en erreur le consommateur, sur la portée des engagements environnementaux du Groupe (ANNEXE III).
- TotalEnergies est un acteur majeur de l’extraction et de la commercialisation de combustibles fossiles, ce qui constitue le cœur de son activité.
- Il est reconnu que l’utilisation de combustibles fossiles est l’un des facteurs principaux du réchauffement climatique que nous connaissons (ANNEXE IV). Une étude récente (juillet 2025) publiée dans Nature, montre la relation qui existe entre l’activité des majors des combustibles fossiles et les vagues de chaleur qui nous accablent (ANNEXE V).
- L’article 6.1 de la Convention de mécénat liant le Collège de France, la Fondation du Collège de France et TotalEnergies (ANNEXE I) dispose : Les Parties s’abstiendront de faire toute communication directe ou indirecte, écrite ou orale, susceptible de porter atteinte à l’image et à la notoriété de l’autre Partie.
- L’existence de biais de financement dans la recherche est un phénomène bien établi. Ce biais a pour effet que les résultats ont tendance à être plus favorables au financeur direct ou indirect des recherches que les résultats des recherches qui ne sont pas financées par lui. L’article wikipedia (ANNEXE VI) sur le sujet fournit une bibliographie abondante qu’il n’est pas nécessaire de reproduire ici.
- Le colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », qui devait se tenir le 13 et le 14 novembre au Collège de France a été annulé à la suite d’un courrier que le ministre de l’enseignement supérieur et de la recheche, Philippe Baptiste, a adressé le 8 novembre à l’administrateur du Collège de France. Le ministre s’est réjoui de l’annulation dudit colloque sur X (ANNEXE VII). A ce jour, les informations les plus complètes sur le sujet me semblent celles contenues dans l’article Comment le Collège de France en est venu à annuler un colloque scientifique sur la Palestine, du Monde.
- La lettre du ministre a été publiée par Rogue ESR (ANNEXE VIII). Le ministre rappelle à l’administrateur les exigences déontologiques qui régissent l’activité des institutions universitaires et rappelle celle de pluralité de vues. Il insiste sur son attachement aux libertés académiques.
- Le ministre indique à l’administrateur que le collège de déontologie se tient à sa disposition.
- L’administrateur du Collège de France a annoncé l’annulation du colloque précité en mettant en avant les risques de trouble de l’ordre public. Nous le citons (le communiqué est à lire en annexe : ANNEXE IX) :
- « Face à la polémique mais aussi aux risques qui se manifestent autour de ce colloque, il a d’abord été suggéré au comité scientifique que l’événement se tienne à huis-clos, solution qui ne s’est pas révélée possible. Or il incombe aussi à l’Administrateur du Collège de France de garantir la sécurité du personnel du Collège de France, ainsi que de ses auditeurs, et d’éviter tout risque quant à l’ordre public. »
- « Par conséquent, et au regard de tout ce qui précède, l’Administrateur du Collège de France se voit dans l’obligation en tant que chef d’établissement, responsable de la sécurité des biens et des personnes ainsi que de la sérénité des événements tenus dans l’enceinte du Collège de France, d’annuler la manifestation prévue les 13 et 14 novembre prochains. »
- L’administrateur mentionne trois avis du conseil de déontologie : celui du 29 mars 2024, celui du 17 février 2023 et celui du 21 mai 2021.
- Une action en référé a été intentée contre la décision d’annulation du colloque. Le tribunal, tout en reconnaissant que le colloque devrait se tenir dans des conditions « très sensiblement dégradées, au regard, notamment, de la taille de la salle, par rapport à celles initialement prévues », a rejeté le référé-liberté introduit par les chercheurs. Voir Le Monde : Collège de France : le juge des référés rejette les recours contre l’annulation du colloque sur la Palestine
- L’article L141-6 du Code de l’Éducation dispose : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. »
- L’article L952-2 du code de l’éducation dispose : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs. »
- Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 janvier 1984, a considéré « que, par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables. »
- Le même Conseil constitutionnel, par sa décision du 28 juillet 1993, a considéré que « le statut des établissements d’enseignement supérieur ne saurait limiter le droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que dans la seule mesure des exigences du service public en cause ; que, par leur nature, les fonctions d’enseignement et de recherche exigent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des enseignants-chercheurs soient garanties ; qu’en ce qui concerne les professeurs, la garantie de l’indépendance résulte en outre d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; »
- La décision n° 2010-20/21 QPC du 6 août 2010 du CC dit : « Considérant que la garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. »
- La décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020 du CC dit : « La garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Ce principe implique notamment que les professeurs des universités et les maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs. »
- Le Conseil d’État, par ses arrêts du 29 mai 1992 et du 22 mars 2000, reconnaît aussi « qu’ainsi que l’a énoncé le Conseil constitutionnel dans sa décision 83-165 DC du 20 janvier 1984, la garantie de l’indépendance des professeurs de l’enseignement supérieur résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».
- L’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européeenne dispose : « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée ».
- L’article 2 de l’Arrêté du 1er mars 2018 relatif au collège de déontologie au sein du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche dispose que le collège de déontologie peut être saisi par le ministre, ainsi que par les directeurs des établissements placés sous la tutelle du ministère.
- En vertu de l’article 2 du Décret n° 2014-838 du 24 juillet 2014 relatif au Collège de France, ledit Collège de France est placé sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
ANNEXES
ANNEXE I : https://sebastiannowenstein.org/2025/06/02/total-mecene-du-college-de-france-la-convention/
ANNEXE II : Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021, BONNEUIL, CHOQUET, FRANKA, 2021, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378021001655
ANNEXE III : https://sebastiannowenstein.org/wp-content/uploads/2025/10/Decision-Total-Greenwashing.pdf
ANNEXE IV : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ar4-wg1-chapter9-1.pdf
ANNEXE V : https://rdcu.be/eMuSs
ANNEXE VI : https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_de_financement
ANNEXE VII : https://x.com/PhBaptiste/status/1987475745099141359
ANNEXE VIII : https://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2025/11/OukazeBaptiste.pdf