Chères et chers élèves,
Vous trouverez ci-après une présentation en français du dossier de la semaine.
Vous n’êtes pas obligés de prendre connaissance de tous les documents, mais je vous invite à le faire si vous en avez le temps.
Après cette présentation, vous trouverez des propositions de travail. Choisissez l’une d’entre elles et renvoyez-moi votre devoir par la voie habituelle.
Comme, d’habitude, je corrigerai, mais je ne noterai pas.
Enfin, vous disposez ici d’un cours en espagnol portant sur le dossier, que vous pourrez lire et écouter.
Présentation du dossier
Nous avons travaillé sur le processus qui a conduit à l’utilisation du poème Aceituneros de Miguel Hernández dans des buts sans doute fort éloignés de ce qui était l’intention du poète.
Nous l’avons vu la semaine dernière, le poème de Miguel Hernández, devenu chanson, s’est mué en hymne d’une province ou en musique de variétés. Nous avons assisté à une dépolitisation ou à une “frivolisation” du poème.
Cette semaine, je vous propose de travailler sur une chanson dont on pourrait dire qu’elle a eu un parcours inverse : de “frivole”, elle est devenue “sérieuse” et s’est chargé d’un sens politique. Mais soyons prudents, les choses ne sont pas toujours aussi simples.
La chanson ¡Y viva España! fut d’abord, on le disait plus haut, une frivolité. Il s’agissait d’une chanson flamande belge qui célébrait le soleil, la mer et la plage. Puis elle est devenue une sorte d’hymne des adversaires de l’indépendance de la Catalogne, nous explique la RTBF, la télévision francophone belge.
« Je ne suis pour rien là-dedans, insiste pourtant Léo Caerts: Moi, j’ai fait une chanson sur le soleil, la mer et la plage ».
Léo Caerts, comme son nom le laisse deviner, est flamand. Il est le parolier qui écrivit cette chanson en néerlandais.
Si vous aimez les vieilleries, vous pouvez écouter Georgette Plana la reprendre en français :
Voici l’original flamand :
Manolo Escobar, que nous avons entendu chanter Aceituneros la semaine dernière, reprit la chanson en 1973 et elle devint alors un succès en Espagne.
Avouez tout de même que cela ne manque pas de sel que de voir les anti-indépendantistes se saisir d’une chanson flamande pour revendiquer l’Espagne. Cette rengaine, je la connaissais, bien entendu, je l’ai entendue des tas de fois étant enfant, mais j’ignorais qu’elle n’était en rien espagnole au départ. De plus, dans mon souvenir, on ne la chantait jamais sérieusement. Je crois que, pour beaucoup de gens, la reprendre, c’était surtout une plaisanterie.
Et si c’était un peu toujours le cas, du reste ? Jaume Vives, qui est devenu célèbre pour avoir diffusé cette chanson depuis son balcon barcelonais pour faire taire le bruit des casseroles indépendantistes, défend l’idée qu’il lutte pour l’unité de l’Espagne par le sourire. Ce serait La Resistencia de las sonrisas… du mouvement Tabarnia1.
Le souci, malgré tout, c’est que ce monsieur tellement sympathique multiplie les déclarations islamophobes, homophobes et machistes qui ne sont vraiment pas drôles et qui rendent ardu de détacher cette chanson du rôle pas si innocent qu’elle joua lors des dernières années du franquisme.
Dans cet article, vous pouvez consulter les déclarations de plusieurs intellectuels qui reviennent sur la façon dont cette chanson s’est chargée d’un contenu politique qu’elle n’avait pas auparavant.
Il se pourrait, cependant, que les choses soient moins simples. On pourrait dire qu’en 1973, ¡Que viva España! faisait partie d’un projet politique destiné à faire perdurer le régime franquiste en noyant les combats politiques dans la célébration des plages gorgées de soleil que le monde entier envierait au chanceux peuple espagnol2.
Il se pourrait donc que les choses soient moins simples que nous ne l’avons dit au début. Peut-être que la chanson frivole de Manolo Escobar n’était pas si frivole… En fait, selon que l’on interprète cette vieille chanson dans un sens ou dans l’autre, le contenu politique qu’elle véhiculera ne sera pas le même. Qu’on la voie comme l’emblème de la culture franquiste ou qu’on la voie, au contraire, comme une chanson sympathique -frivole- par laquelle on montre son attachement à l’Espagne, et l’acte politique qui consiste à la reprendre aujourd’hui revêtira des sens différents. Et, bien entendu, on peut aussi se demander si Aceituneros devient vraiment frivole quand Manolo Escobar le chante…
Dans le récit El cambiazo, de Mario Benedetti, auteur uruguayen, Corrales est un policier tortionnaire qui incarne le régime qui l’emploie. Un chanteur de variétés lance un jeu : ses fans devront, sur une période de 4 semaines, changer un vers d’une strophe, qu’il chante, semaine après semaine. Chaque semaine, il choisit le vers qui lui paraît le meilleur. Le dernier vers sera un appel à tuer Corrales qui, n’aura rien vu venir et sera, effectivement tué. Je n’ai jamais vu un texte qui, en si peu de lignes, rende aussi bien la porosité qu’il peut exister entre ce qui est frivole et ce qui ne l’est pas. Ou la transformation de ce qui est frivole en quelque chose qui ne l’est pas.
Voici un extrait de du récit de Benedetti. Lito, le chanteur explique le jeu à ses fans :
Pero ahora Lito se pone solemne: «Hoy tengo una novedad y se llama «El cambiazo». Es una canción y también es un juego. Un juego que jugaremos al nivel de masas, al nivel de pueblo, al nivel de juventud. ¿Qué les parece? Voy a cantarles «El cambiazo». Son sólo cuatro versos. Durante la semana que empezará mañana, lo cantaremos en todas partes: en las aulas, en la calle, en la cama, en el ómnibus, en la playa, en el café. ¿De acuerdo? Luego, el domingo próximo, a esa misma hora, cambiaremos el primero de los cuatro versos. De las propuestas por escrito que ustedes me hagan llegar, yo elegiré una. ¿Les parece bien?». Síííííííí, chilla la adicta, fanática, coherente adolescencia. «Y así seguiremos todas las semanas hasta transformar completamente la cuarteta. Pero tengan en cuenta que en cada etapa de su transformación, la estrofa tendrá que cumplir una doble condición: variar uno de sus versos, pero mantener un sentido total. Es claro que la cuarteta que finalmente resulte, quizá no tenga el mismo significado que la inicial; pero ahí es justamente donde reside el sabor del juego. ¿Estamos?» Sííííííí. «Y ahora les voy a cantar el texto inicial.»
Et voici la fin du récit :
El coronel abre la boca para decir algo, quizá una orden. Entonces estalla el cristal de la ventana. El coronel recibe el tercer disparo en el cuello. Fresnedo logra esconderse detrás de la mesa cargada de expedientes, y sólo entonces puede entender qué es lo que chillan los de afuera, qué es lo que chillan esos mocosos y mocosas, cuyos rostros seráficos e inclementes, decididos e ingenuos, han empezado a irrumpir en el despacho: «Paraqueseá braaaaaaaaaaaaa laherida, paraqueusé mooooooooooos la suerte, paranosó trooooooooooos la vida, paracorrá leeeeeeeeeeeees lamuerte».
Les poèmes collectifs ne sont pas toujours faits dans un esprit de confrontation. Ici, vous avez l’histoire d’un poème collectif qui est devenu une chanson destinée à remercier les personnels de santé qui se battent pour nous :
Propositions de travail :
- Écris 200 mots inspirés du contenu de ce dossier.
- Voyage dans le passé (et dans la fiction) et explique à Corrales que s’il continue à agir comme il le fait, il va finir assassiné. Fais tout de même attention : la réaction la plus probable de Corrales face à ton annonce, ce sera, tu t’en doutes, d’accroître encore se férocité. Tu seras donc face à un dilemme, car en voulant faire le bien (empêcher que Corrales ne soit tué), tu risques d’engendrer des effets encore plus néfastes que ceux que tu veux éviter. Tiens, pendant que je t’écris, j’en viens à me demander si Corrales n’a pas déjà reçu une visite du futur qui lui aurait annoncé une fin funeste et si, du coup, sa férocité ne s’expliquerait pas par la volonté désespérée d’échapper à son destin. Peut-être que si tu décides, malgré tout, d’agir, une possibilité serait de le faire par le biais de la fille de Corrales, Julia, une adolescente qui adore Lito et que son père ne comprend pas. Tout ceci est expliqué dans le texte complet du récit, vers lequel je te remets un lien ici.
- Enregistre-toi en lisant le premier fragment du texte de Benedetti et envoie-moi ton enregistrement.
- Imagine une conversation entre deux amis catalans, l’un indépendantiste et l’autre qui ne l’est pas, autour du contenu de ce dossier.
- Compose un poème -en espagnol, naturellement- avec quelques camarades pour remercier le personnel médical de l’hôpital de la Macarena, de Séville, qui a payé un lourd tribut au Covid-19.
- Identifie tous les futurs simples du premier fragment de El Cambiazo et mémorise les formes régulières de ce temps. Laisse-moi te rappeler que le futur en espagnol (comme en français, du reste) se forme avec l’infinitif et l’auxiliaire HABER (avoir, en français).
1Dans le mouvement Tabarnia, on trouve des gens comme Jaume Vives Vives, mais aussi quelqu’un comme Albert Boadella, qui peut se prévaloir d’une longue trajectoire en défense des libertés.
2Si vous êtes courageux, vous pouvez consulter à ce sujet l’article La imagen de la España tardofranquista en las películas de Manolo Escobar, qui analyse ce qu’a incarné Manolo Escobar dans le cinéma de l’époque.