D'une nouvelle traduction de la Bible en islandais et de la décision de la Cour suprême islandaise dans une affaire d'incitation à la haine.

Le Morgunblað nous apprenait en 2005 (voir aussi ici) que, soucieuse d’éliminer de la Bible les termes dégradants à l’égard des homosexuels, la Société Islandaise de la BibleHið íslenska biblíufélag– envisageait de modifier sa traduction de la lettre aux Corinthiens 6.9 :

« Vitið þér ekki að ranglátir munu ekki erfa Guðs ríki? Villist ekki! Hvorki munu saurlífismenn né skurðgoðadýrkendur, hórkarlar né þeir sem leita á drengi eða eru í slagtogi við þá, þjófar né ásælnir, drykkjumenn, lastmálir né ræningjar erfa Guðs ríki. Og þetta voruð þér, sum yðar. En þér létuð laugast og Guð helgaði yður og lét Drottin Jesú Krist og anda sinn gera yður réttlát. »

Au lieu de :

« Vitið þér ekki, að ranglátir munu ekki Guðs ríki erfa? Villist ekki! Hvorki munu saurlífismenn né skurðgoðadýrkendur, hórkarlar né kynvillingar, þjófar né ásælnir, drykkjumenn, lastmálir né ræningjar Guðs ríki erfa. Og þetta voruð þér, sumir yðar. En þér létuð laugast, þér eruð helgaðir, þér eruð réttlættir fyrir nafn Drottins Jesú Krists og fyrir anda vors Guðs. »

Le terme kynvillingar : homosexuel, mais dégradant, serait remplacé par l’expression þeir sem leita á drengi : ceux qui recherchent un garçon. Selon l’article du Morgunblaðið, les savants pensent que, dans le passage cité, il s’agissait plutôt que de l’amour entre hommes adultes, de viser ceux qui exerçaient de la violence à l’égard des enfants :

Meðal þeirra breytinga sem gerðar verða eru endurskoðun á niðrandi orðum sem hafa verið tengd samkynhneigð, en í ljósi sögunnar er þar, að mati fræðimanna, frekar verið að ræða um ofbeldi gagnvart börnum en ást fullvaxinna karlmanna.

Cependant, consultant ce 31 décembre 2017 la version en ligne de la Bible, je lis :

Vitið þið ekki að ranglátir munu ekki erfa Guðs ríki? Villist ekki! Enginn sem er saurlífur, dýrkar falsguði eða lifir í hórdómi, enginn karlmaður sem lætur nota sig eða notar aðra til ólifnaðar (…)

enginn karlmaður sem lætur nota sig eða notar aðra til ólifnaðar signifie : aucun homme qui se laisse utiliser ou en utilise d’autres de façon non naturelle.
L’idée que ce que la Bible visait, c’était la violence à l’égard des enfants a disparu.
Retenons, quoi qu’il en soit, que les homosexuels se voient toujours refuser l’accès au paradis, mais que, désormais, ce refus se fait avec une délicatesse dont ils ne pourront que se féliciter.
Ce rappel peut être utile alors qu‘un jugement récent de la Cour suprême d’Islande -Hæstiréttur- a condamné deux personnes ayant formulé des critiques virulentes au sujet des cours d‘éducation sexuelle dispensés dans les écoles de la ville de Hafnfjörður (voir ici, ici et ici). Dans un cas, les cours portant sur l’homosexualité étaient comparés à de la pédophilie et, dans l’autre, les cours étaient qualifiés de dégoûtants. Dans les deux cas, c’est le mot kynvillingur qui apparaît, celui-là même que l’Église a voulu voir disparaître et dont nous parlions plus haut.
Comment articuler la condamnation que vient de rendre la Hæstiréttur et la tolérance dont on fait preuve à l’égard d’institutions telles que l’Église ? Si l’on tolère que cette dernière, en endossant la Bible, légitime la nécessité et la justice d’interdire aux homosexuels le Paradis, ne faut-il pas faire preuve d‘une certaine retenue à l’égard de personnes qui critiquent que l’on enseigne en quoi consiste l’homosexualité à des enfants, même si elles le font en des termes offensants ? Que des tribunaux comme la Cour pénale internationale limitent leur poursuites aux criminels les moins puissants et refusent de s’intéresser aux crimes commis par les grands de ce monde ne légitime pas que l’on tolère le deux poids deux mesures dans les systèmes juridiques nationaux.
On pourrait cependant concevoir que l’on institue une exception : on pourrait par exemple dire : L’Église dit que les homosexuels iront en enfer et c’est très bien comme ça parce que c’est la Bible qui l’affirme. Et on ne pourrait pas dire : Que le homosexuels aillent en enfer !, tout court, sans référence au texte sacré. On pourrait poursuivre dans le dernier cas, parce que sanctionner la personne ne se traduit pas par une atteinte sérieuse à la liberté de conscience du groupe important que constituent les chrétiens et épargner dans l’autre, parce que, si sanction il y avait, on porterait atteinte à la liberté de conscience. On pourrait imaginer une problématique analogue en substituant à celui qui se réclame de la Bible quelqu’un qui ferait appel, par exemple, aux travaux de Lacan pour qualifier de pervers les homosexuels et celui qui, sans référence au penseur dirait : Les homosexuels sont des pervers ! Le professeur Troper nous rappelle, dans un article connu, qu’il n’y a pas, dans le chef du Législateur, une obligation juridique de cohérence, même s’il y a bien une obligation morale de cohérence. Le Législateur pourrait donc prendre appui sur cette absence d’obligation légale de cohérence pour sanctionner les pauvres diables tout en épargnant ceux qui prennent la peine d’adosser à des croyances solidement établies dans la société leurs propos haineux. La question de savoir s’il se conçoit qu’un système pénal contienne une exception inversée de celle dont nous parlons ici –sanctionner l’Église et épargner les pauvres diables- est sans doute intéressante, mais elle dépasse le cadre de la présente note.
Un autre argument en faveur du traitement différencié du discours de haine naît du fait que les affirmations de la Bible, étant connues depuis longtemps, elles peuvent avoir été neutralisées par des arguments rationnels, ce qui n’est pas le cas des propos d’un citoyen lambda qui s’exprime aujourd’hui. Cette position, poussée fort loin, se retrouve dans une décision fort citée du juge états-unien Brandeis, que rappelle le professeur Dilhac :
Le juge Louis D. Brandeis dans l’affaire Whitney (1927) clarifia encore la doctrine du danger manifeste et imminent : « Même un danger imminent ne peut justifier le recours à l’interdiction de ces fonctions essentielles à la démocratie réelle, à moins que le mal redouté soit relativement sérieux (…) Il doit y avoir une probabilité d’une atteinte sérieuse à l’État ». Non seulement il faut s’assurer que la probabilité du danger soit élevée, mais en outre il faut que ce danger soit déterminant pour la stabilité des institutions publiques. En outre, selon cette doctrine, le caractère dangereux de l’acte ne réside pas dans le contenu, dans les idées véhiculées, mais uniquement en vertu des circonstances qui empêchent le débat démocratique d’invalider des idées, ou de les rendre moins attractives, et qui accroissent alors la probabilité de l’instabilité. Un même discours peut donc être autorisé ou interdit en fonction des circonstances de son énonciation qui modifient ses effets.1
Mais n’est-il pas plus sage, en définitive, de se ranger derrière le professeur de droit et magistrat espagnol Pasquau Liaño qui, dans un article récent, réclamait que l’on cantonne la répression judiciaire des propos déplacés aux cas où ceux-ci viseraient directement à créer des situations de haine susceptibles objectivement de donner naissance à des actes concrets dommageables pour les personnes visées ?:

Sólo hay delito de odio cuando el mensaje, entendido no sólo en su literalidad sino también en función del contexto en que se produce, revela una inequívoca y principal intención directa de provocar un movimiento social de odio o discriminación hacia grupos o colectivos, capaz objetivamente (por el momento y situación en que se produce, y la influencia de quien lo emite) de provocar acoso o actitudes violentas. Y no, por tanto, cuando lo que se dice es parecido a un eructo, sin más intención que demostrar que no se siguen las reglas de buena educación, ni cuando se está expresando una opinión equivocada.

Cette position ne suppose pas qu’il ne faille pas combattre les propos de haine, bien entendu. Ce qu’elle dit, c’est que, hormis une infime minorité de ces propos, le combat doit se situer dans le cadre de la délibération publique et non dans les prétoires.
 
PS : Le débat que l’on commente ici se retrouve ailleurs. En Espagne, le député socialiste Antonio Hurtado poursuit l’évêque Demetrio González pour un possible délit de haine en raison des propos sur les homosexuels qu’a tenus ce dernier. Beatriz Gimeno, députée de Podemos, au contraire, se méfie de la criminalisation de l’expression et pense que la lutte contre les discriminations est avant tout sociale.

1La tolérance, un danger pour la démocratie ? Théorie d’un impératif politique, Paris, Vrin, Collection « Philosophie concrète », 2014. (238 p.).