Lettre au professeur Petit. Fraises et aides d’État : les limites de la concurrence libre à l’européenne.

À Lille, le vendredi 17 mai 2019

Monsieur le Professeur Nicolas PETIT,

Service de Droit européen de la concurrence, ULG,

Enseignant dans le secondaire, en France, je cherche, avec quelques collègues, à préparer un dossier décrivant, dans une perspective réaliste1, la politique économique conduite par l’UE en matière de concurrence.

Dans ces conditions, je voudrais vous soumettre les hypothèses suivantes :

I. La politique économique de l’Union européenne n’est pas conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre2, car

II. Lorsqu’une aide d’État prend la forme de l’inexécution par un État de ses obligations environnementales ou en matière de santé publique, la Commission n’agit pas sur le plan de la concurrence, ce qui se traduit par une efficacité faible de son action3.

III. La politique économique réellement conduite par la Commission européenne peut faire l’objet d’une description objective incluant une typologie des situations dans lesquelles la Commission européenne s’abstient de faire respecter l’interdiction des aides d’État.

Ces hypothèses dérivent de l’étude d’un cas, présenté dans ce courrier adressé à la Délégation de l’UE en France en la personne de sa cheffe, madame Jégouzo4. Ces hypothèses sont renforcées partiellement ou totalement par d’autres situations. Citons les exemples du vin5 et du transport aérien, qui bénéficie d’une exonération fiscale sur le kérosène.

Ces hypothèses conduisent à effectuer des prédictions, dont la principale est la suivante :

Confrontée à une aide d’État ayant pour origine l’inexécution d’une obligation en matière d’environnement ou de santé publique, la Commission européenne s’abstiendra de toute poursuite se situant sur le plan de la concurrence.

La situation décrite plus haut crée aussi un précédent dont chaque État européen pourrait se prévaloir plus largement pour mettre en place des aides d’État de nature variée.

Pensez-vous que la Cour de justice de l’Union européenne pourrait sanctionner certaines aides d’État et pas d’autres ? Il y aurait sans doute un paradoxe à ce qu’une aide qui prend la forme d’une tolérance à l’égard d’une infraction pénale soit admise, alors qu’une aide dûment déclarée ne l’est pas. Il y aurait un paradoxe à ce qu’un effet protecteur naisse d’un manquement à des obligations de protection de l’environnement.

Auriez-vous l’amabilité de m’indiquer s’il existe, à votre connaissance, des articles de doctrine ou de la jurisprudence portant sur les questions évoquées ici ? Accepteriez-vous de commenter ces questions ?

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, monsieur le Professeur, à l’expression de mes salutations les meilleures.

S. Nowenstein

professeur agrégé,

France.

1Je me réfère à la tradition états-unienne du legal realism. Une description réaliste implique donc ici de considérer le processus juridico-administratif tel qu’il est dans les faits et non tel qu’il devrait être d’après les textes. Elle implique aussi de faire des prédictions sur les décisions que seront prises par les acteurs dotés de pouvoir.

2C’est, pourtant, ce que dispose l‘article 119, §1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne.

3D’autres hypothèses peuvent rendre compte des faits constatés. Nous laissons pour plus tard leur examen.

4Voir Doñana : Lettre à madame Jégouzo, cheffe de la représentation de l’UE en France. Voir aussi : Lettre ouverte aux producteurs de fraises et fruits rouges victimes du dumping écologique organisé par l’État espagnol et toléré par la Commission européenne et Doñana : Lettre à des parlementaires français.

5J’ai interrogé monsieur le Président de la République Macron sur cette question par la voie hiérarchique : L’exécutif et le lobby de l’alcool. Lettre au Président.