Courriel envoyé à des organes de presse francophones.
Madame, Monsieur,
Pardonnez-moi de vous déranger, mais il me semble que cette déclaration du nouveau premier ministre islandais, monsieur Sigurður Ingi Jóhannsson, est passée injustement inaperçue :
« Il faut bien que l’argent soit quelque part.»
(„Einhvers staðar verða peningarnir að vera.“)
Il répondait, le 30 mars, à un journaliste qui lui demandait s’il était normal de détenir des montants importants dans l’île de Tortola. Le journaliste faisait allusion à la société-écran propriété de celui qui était alors premier ministre et de son épouse1.
Quelques secondes auparavant, il avait philosophé :
« Il est évident qu’il est clairement assez compliqué d’avoir de l’argent en Islande. Il n’y a pas de problème à ce que les gens soient riches en Islande ».
„Það er auðvitað augljóslega talsvert flókið að eiga peninga á Íslandi. Það er ekkert að því að fólk sé efnað á Íslandi“
Je crois que ces propos lumineux2 ont échappé à nos médias, ce qui m’a incité à les traduire et à vous les communiquer.
Je considère que ces paroles pourraient constituer un point de bascule non seulement pour Islande, mais aussi pour le monde. Elles nous appellent à cesser de persécuter l’argent. En filigrane, elles appellent à donner à l’argent des droits explicites : une véritable Déclaration Universelle des Droits de l’Argent se met peut-être en place sous nous yeux. Que la méconnaissance de l’islandais ne vous empêche pas de voir cette naissance ; qu’elle ne vous empêche pas, surtout, d’en rendre compte.
J’ajoute que monsieur Sigurður Ingi Jóhannsson sait de quoi il parle : il a fait partie de la commission parlementaire3 qui a travaillé sur l’effondrement de l’économie islandaise de 2008, consécutif, vous le savez, à la collusion entre le secteur financier et les institutions publiques qui avaient pour mission de le contrôler. Monsieur Jóhannsson avait voté pour que quatre ministres fassent l’objet de poursuites4. Qu’un homme qui a su ainsi faire preuve de sévérité lorsqu’il le fallait en vienne aujourd’hui à s’inquiéter, avant toute chose, de la nécessité de trouver des lieux pour que l’argent s’épanouisse en liberté, eh bien, cela nous interpelle et cela nous fait réfléchir, vous en conviendrez.
J’en reste là pour le moment. Mais je vous annonce déjà que je travaille à la création d’une fondation qui oeuvrera à l’étude et à la diffusion de la pensée de Sigurður Ingi Jóhannsson.
Je vous prie d’agréer, madame, monsieur, l’expression de mes salutations les meilleures.
Sebastián Nowenstein.
PS : J’insiste sur un point : le mot « peningar », argent, ne tolère en islandais aucune ambiguïté. Il est impossible de le confondre avec celui de « flóttamaður », qui veut dire réfugié. Monsieur Jóhannsson ne plaide pas pour la nécessité de trouver un endroit pour les réfugiés syriens, mais bien pour que l’on trouve un lieu susceptible de mettre l’argent à l’abri de la guerre que contre lui ont lancée les fanatiques de la taxation.
La déclaration de cet homme d’État se trouve à la minute 2.30 de cette vidéo : http://www.visir.is/flokid-ad-eiga-peninga-a-islandi-ad-mati-atvinnuvegaradherra/article/2016160339861
"Il faut bien que l'argent soit quelque part". Pensée lumineuse du premier ministre islandais.
1Comme vous le savez, le premier ministre sortant, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, a vendu les parts qu’il détenait dans cette société à son épouse, pour la somme d’un dollar, en 2009. Il se pourrait, cependant, certains le pensent, qu’il se soit agi d’une opération purement formelle destinée à éviter que les adversaires politiques de monsieur Gunnlaugsson ne se saisissent de la question pour lui nuire.
2Il arrive que des propos lumineux paraissent confus au premier abord. C’est le propre des pensées complexes. Je soumets, néanmoins, ma traduction à mes amis islandais francophones. Je vous tiendrai au courant de leurs remarques. Mais, connaissant l’homme, je peux d’ores et déjà vous dire que cette phrase est une complainte mélancolique ou désabusée. Il nous invite à cesser de poursuivre l’argent et à considérer que sa possession n’a rien de déshonorant. L’argent est persécuté en Islande, monsieur Jóhannsson le sait et en prend acte, douloureusement, je pense. Mais il sait aussi que cela ne risque pas de changer d’aussitôt. Quelle que soit l’étendue de son pouvoir, il ne veut pas en user de façon arbitraire ou brutale et préfère nous faire évoluer en douceur, avec ces mots que j’ai eu l’honneur de traduire et ce regard pensif qui lui est propre.
3Þingmannanefnd til að fjalla um skýrslu rannsóknarnefndar Alþingis, plus connue sous le nom de Commission de la Vérité : Sannleiksnefnd Alþingis.Voir ici : http://www.althingi.is/thingnefndir/rannsoknir-althingis/thingmannanefnd-til-ad-fjalla-um-skyrslu-rannsoknarnefndar-althingis/
4Certes, aucun des ministres en cause n’était issu de son parti, mais si un homme tel que Sigurður Ingi Jóhannsson protège aujourd’hui son président de parti, le premier ministre sortant, alors qu’il tonnait en 2009 contre les ministres impliqués dans l’effondrement de l’Islande, c’est qu’il y a des raisons honorables à cela. Je m’emploie en ce moment à les rechercher et ne manquerai pas de vous écrire quand je les aurai trouvées.Voir ici : https://is.wikipedia.org/wiki/%C3%9Eingmannanefnd_til_a%C3%B0_fjalla_um_sk%C3%BDrslu_ranns%C3%B3knarnefndar_Al%C3%BEingis